Notre avis sur lieux communs, au festival d’Avignon 2024

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lieux communs festival d'avignon 2024
LIEUX COMMUNS Festival d Avignon Texte et mise en scene Baptiste Amann Scenographie et lumiere Florent Jacob Son Leon Blomme Costumes Estelle Couturier-Chatellain, Marine Peyraud Collaboration artistique Amelie Enon Assistanat a la mise en scene Balthazar Monge, Max Unbekandt Avec Oceane Cairaty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Rehault, Pascal Sangla

S’il y a bien quelque de choses de fascinant lorsque l’on regarde la pièce d’Amman, lieux communs, c’est de se rendre compte que ce que l’on observe, n’est qu’un replay virtuel de nos êtres absolument certains de leur vérité et que cette représentation se déroule dans deux lieux communs : la salle et la scène. Dans l’un des d’eux, les rapports sont muets et paisibles, dans l’autre, ils se froissent et hurlent.

Mais nous sommes à la fois dans tous ses lieux. En ressortant, puisque nous sommes entrés deux fois dans notre propre monde, la seule question qui nous reste est de savoir si notre regard a eu suffisamment de résistance à la pression de la profondeur de cette pièce ou s’il s’est perdu en chemin. Si le surlendemain, votre regard ne s’interroge pas sur lui même dans la glace, vous aurez votre réponse et vous aussi, Monsieur Amman.

Développement Lieux communs:

La pièce de Baptiste Amman est à la fois qualifiée de thriller, et de théâtre de récit. La pièce a pour toile de fond le meurtre de la fille d’une personnalité influente de l’extrême droite. Le bourreau de la victime est un homme nommé Comparé (jugé d’avance ). Mais les actions sont post-factuelles et le dramaturge nous proposent un kaléidoscope des visions de chaque personnage et de la manière dont ce fait divers va influencer leur vie et leur manière d’être avec les autres et leur manière de voir les autres. Au final, tous ces personnages sont en lien.

Abstraction et figuration :

D’emblée, nous entrons dans les coulisses d’un théâtre. Le public invisible, le public miroir se retrouve à notre exact opposé, au fond de la scène. Nous sommes des spectateurs voyants, voyeurs et absents. La pièce de la metteure en scène se joue dos à nous, Un sentiment d’invisibilité nous tient, apparition fantomatique ou sommes nous fantômes ? Cette incertitude quant à notre position participe à l’abstraction, on ne comprend rien, mais elle nous oblige à adopter un autre point de vue.
Une vision morcelée qui invite à prendre du recul et nous prépare pour la suite de la pièce. Lors de la Première scène, la metteuse en scène Caroline, tient à faire un discours destiné à ses comédiens, ce discours gribouillé sur une feuille froissée revient comme antepiphore, mais cette fois il est adressée au puclic, au réel, à nous. La frontière avec la fiction se brouille, est ce que ce message nous est vraiment destiné ?  Son interprétation des vers d’Hamlet « Être ou ne pas être » s’entend, comme agir ou ne pas agir, et ce malgré le risque que notre action ait bon ou mauvais accueil.
C’est un peu l’histoire d’Ilya Repine et de son tableau d’Yvan le terrible. Exposé puis attaqué, littéralement, par des orthodoxes Russes qui le considérait comme une propagande de l’Occident contre la grande Russie. Ce tableau ne nous est pas montré. Commence alors l’Ekphrasis.
Le genre théâtral se retourne contre lui même, mais retourne aussi sa cousine, la peinture, représentation figée. Il prend à rebours le mode de fonctionnement de la figuration pour nous donner une leçon sur le fonctionnement de nos sens. L’ekphraiss nous oblige à passer par l’abstraction, puis par la figuration dans le but de ralentir  l’interprétation.
C’est peut-être le rôle des vitres-écrans qui habillent le quadrillage du mur dressé devant nous : certaines scènes sont jouées derrières elles, et non sur la scène frontale. Précaution intimiste, avantage en aparté pour le public ou mise à distance de ce qu’on croit voir, comme à la télévision ? À la fin, tous les écrans sont retirés. Il ne reste qu’une scène, qu’une vision. Mais est-elle facile à comprendre ?

La vérité :

La scène des invités de télévision nous présente un directeur de musée d’art et de l’autre un scientifique. L’un nous fait écouter une bande son à la rythmique inquiétante, mais le comique de geste et de situation,  prête à rire à cause de son excentricité. Le scientifique quant à lui se perd dans des élucubrations. Cette perdition d’ explications dans la bouche de  celui qui représente la fiabilité scientifique, prête à rire et la confusion de cette scène comique met à distance toutes certitudes.
Qu’est ce qui est mensonge, qu’est ce qui ne l’est pas ? L’Incompréhension, les croyances, la persuasion vont créer des tensions et charger la violence qui va se répandre sur scène entre Charlotte et la militante ou entre le policier et Comparé.
La violence est liée à la question de la vérité. Il y a dans ce théâtre, une irrésolution tant pour le spectateur que pour le comparé de justice. Clamer l’innocence pendant 15 ans puis avouer en se coupant la langue en deux. La langue du poète meurtrier. Narcisse, poète désespéré ou réelle victime ? Faut-il accepter l’irrésolu comme le frère de la victime où tout ce qui importe est de sauvegarder ce qui a été?

Le théâtre

Caroline, metteure en scène, choisit l’œuvre d’un homme jugé par les médias comme coupable d’homicide. Prise de risque. L’exposition des acteurs fait miroir à l’exposition de Comparé. Le jugement du public intervient comme catalyseur de la pièce et soulève ici la question de la dissociation de l’œuvre et de l’artiste. L’art doit il être moral ? Quoi qu’il en soit il sert la politique.
Les pièces, le  commissariat, les coulisses du plateau télé, le théâtre, l’atelier du réparateur de tableau sont autant de pièces puzzles qui nous permettent d’observer nos personnages et de construire notre interprétation des faits. Au fur et à mesure les liens se tissent pour éclaircir les rapports et comprendre le mode de fonctionnement des personnages. Mais la dernière partie, « Citation à comparaître » offre le témoignages individuels des personnages et nous pouvons réviser notre jugement puisque nous sommes seuls juges et interprètes de la situation.

Conclusion :

Cette pièce  a pour  Toile de fond  un événement sanglant, dont la musique initiale participe à l’atmosphère sombre. L’impression d’entendre un cri strident et les percussions lourdes tonnent comme les grilles d’une prison nous oblige à être alerte quant à  notre jugement tout en nous plaçant dans la situation inconfortable de « l’irresolu ». Ces 4 lieux, tous ces hommes nous rappellent que l’on vit tous dans ces « lieux communs » mais qu’il est à la charge de chacun que notre Histoire se passe, peut être, autrement.

Photo prise par le photographe officiel du festival d’Avignon : Christophe Raynaud de Lage