Mothers au festival d’Avignon 2024 par Marta Gornicka

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mothers au festival d'avignon 2024
mothers avignon 2024

Si la foule n’avait qu’une voix, l’écouteriez- vous ? Peut-être. Mais ce qui est certain c’est qu’on l’écoutera lorsqu’on l’on verra qu’elle a le visage fantomatique de nos ancêtres. Aimer le théâtre c’est aimer refaire vivre les morts, mais savez vous quel ressenti l’on a devant des presque morts, ou des survivants sur scène ? Marta Gornicka nous demande d’écouter le chœur, et le cœur, de 21 femmes Ukrainiennes, Biélorusses, et Polonaises.

Critique de Mothers

Ces femmes ont survécu à la violence de la guerre ou sont témoins de ces atrocités. Elles portent leurs voix pour nous dire l’indicible, le dessous des discours officiels. Elles sont les voix de toutes les femmes. C’est un chant trans et multigénerationnel.

Ces femmes forment le chœur antique. Celui qui représente la communauté, les citoyens sans visages mais bien vivants, qui parlent, racontent, et commentent les actions des « grands » et qui subissent, en finalité, les actes de ces héros.
Mais il ne s’agit pas  d’écouter des femmes pleureuses, victimes , car le chœur de ces femmes de l’est de notre Terre, est une arme, un véritable  chant de combat. Un chant de vie, une invocation magique au renouveau. Inspiré des chants traditionnels ukrainiens, les  chtchedryvkas dateraient d’avant l’époque pré chrétienne. On entrait dans les maisons pour  fêter l’arrivée  du printemps et célébrer le renouveau de la nature, souhaiter la joie, la santé et l’avenir prospère. Et on croyait véritablement que tout s’exaucerait.
Et plus l’on martèle une idée, plus elle s’ancre dans la mémoire, dans l’âme et donc dans la vie des hommes. Les répétitions s’enchaînent, comme un ordre le mot  » sauver » est doublé et redoublé et sonne presque comme une menace. Certains mots sont clamés avec plus de force que d’autre. Le  rythme effréné du « bonne nuit » avec l’intonation violente annule le verbe ironiquement pour nous réveiller. Le mot « comprendre » est essoufflé et sussuré entre deux respirations, entre deux syllabes que l’on doit rattacher auditivement pour nous attacher à elles. Quant aux rires, ils sont des onomatopées, la frénésie des « haha » ont l’acoustique d’aboiement de détresse. Les mots sont à la fois alarme et douceur.
l’ironie des berceuse chantées à l’Europe qui  » joue à la paix » nous glace les os. Elle réveille le traumatisme de Guerre, le traumatisme qui insensibilise et donne la même vue que l’autruche. « C’est un scandale d’être si loin » quand elles ont traversé la porte de L’est  pour chanter sur la scène d »Avignon. Et sur ces mots elles moulinent leurs bras comme pour attraper la foule des spectateurs, un cauchemar, des poupées possédés ? La souffrance est là, mais l’Amour est plus grand.
Ce chant est une sensibilisation et non un reproche infertile : un chant de mémoire. Ce qu’on a entendu ce soir là nous évitera de scroller trop facilement d’une vidéo de victime de guerre à celle des chats qui nous font rire. Le chant s’imprime dans la mémoire pour sauvegarder la sensibilité humaine, et si l’homme reste sensible à son semblable, sa réflexion ne pourra être que meilleure puisque « la somme  des réflexions de  chaque individu change la réalité ».

Conclusion :

un mur vivant non pas des lamentations, mais de femmes guerrières qui invoque le renouveau, la vie, le pouvoir de l’Amour tout simplement. Car il est un pouvoir endormi et sous estimé, lui seul  peut sauver le monde et faire communauté. Leur voix n’est pas à prendre comme une accusation mais elle nous sensibilise pour que l’on reste humain. Car l’humanité sent, ressent, voit et réfléchis malgré les traumatismes.
C’est à cette seule condition de sensibilisation, que les choix politiques seront définis. Et la seule, et la plus profonde tristesse que j’ai eue est d’avoir payer pour continuer à entendre leur voix quand nos oreilles deviennent imperméables devant l’horreur sur les réseaux . Dans l’enceinte du palais des Papes, leur chant résonnait comme des psaumes, et sous la nuit étoilée qui nous regardait et nous protégeait, l’écho s’amplifiait comme la prière de l’Humanité.
4448 mères et enfants morts.

Photo du photographe officiel du festival d’Avignon 2024 : Christophe Raynaud de Lage

 

Une autre critique de pièce présente à Avignon 2024.