Le tome trois de l’anthologie d’horreur Ice Cream Man prolonge la sensation glaciale d’un cornet en été. Chaque épisode offre le goût de la mort mais un menu complet se dessine entre les pages…
Un parfum familier
Ice Cream Man propose la même équipe créative depuis le premier épisode ce qui est rare. Cette stabilité s’explique car la série au format anthologique a connu aux États-Unis un grand succès. Martín Morazzo a un dessin très élégant avec un encrage par pointillé très réussi. Les décors sont superbes avec une précision et une épure très bien dosées. Les personnages ont des corps très élancés. Les visages très expressifs nous transmettent un sentiment d’angoisse.
Le scénario de W. Maxwell Prince est aussi très fort pour nous choquer en tournant la page. Une dernière page remet tout en cause et nous met à terre. La lecture est souvent rapide par les récits courts mais le rythme varie. Cette poursuite se retrouve également dans l’édition qui reste conforme au format comics, fait de plus en plus rare aujourd’hui. Un intérieur coloré se cache derrière une couverture effrayante. On peut voir les premiers croquis de certains personnages.
Ice Cream Man prolonge le genre horrifique. On trouve dans le troisième tome une histoire d’amour impossible, une vision terrible de la télévision et un voyage dramatique dans le cosmos. Un thème se prolonge sur l’ensemble de la série : la liberté individuelle est un rêve se brisant devant les réalités sociales ou physiques. L’humanité se rêve libre mais elle est contrainte par son environnement et bascule dans le désastre individuel ou collectif.
Le propos d’Ice Cream Manse teinte de politique. Le deuxième chapitre dénonce l’exploitation des jeunes filles : une jeune femme doit épouser un homme bien plus âgé car il est puissant. Ailleurs, le scénariste W. Maxwell Prince dénonce la fermeture de la frontière puis se moque de la télévision vue comme une drogue proposant un monde factice. Au-delà de l’actualité, des références littéraires intemporelles sont présentes : des éléments de l’opéra Carmen de Bizet et une partie d’un poème d’Octavio Paz.
Cependant, grâce au succès, les artistes poussent plus loin leur principe de départ. Le deuxième chapitre commence par plusieurs pages en espagnol. Une fille de riche propriétaire fête sa quinceañera le jour de la fête des morts. Rassurez-vous la traduction est en bonus. Cette extension est non seulement spatiale mais également temporelle. Le lecteur arrive au Mexique au XIXe siècle pendant les guerre civiles. Le dernier chapitre d’Ice Cream Man vous embarque carrément dans l’espace. Le dessinateur Martín Morazzo s’amuse alors à proposer une flore extraterrestre à la fois originale et inquiétante d’autant plus que le coloriste Chris O’Halloran fait le choix d’un monochrome gris pour ce paysage lunaire.
Ice Cream Man, d’une à deux boules
Pourtant, le lecteur assidu de la série Ice Cream Man est perdu. On retrouve le cow-boy Caleb mais le début est obscur ce que confesse le narratif lui-même. Plus qu’une ambiance western, on pense à l’héroic fantasy car le texte inclut des mots inventés. On suit sur une planète désertique avec un homme en tenue de western mais tirant à l’arc et ressemblant à un elfe. Avec un loup gris, il affronte une araignée géante. Le lecteur découvre que cet épisode remonte aux origines des personnages centraux de la série.
En effet, Ice Cream Man n’est pas seulement une suite de récit par épisodes. Dans le premier tome, on découvrait un personnage annexe mais présent dans chaque récit. Comme dans Les contes de la crypte, un glacier tout de blanc vêtu était un narrateur du récit ou une présence inquiétante sur plusieurs pages. Dans ce tome, il ne porte plus son uniforme mais le lecteur reconnaît par son visage et surtout les yeux émeraude. Désormais, le glacier s’implique dans le récit et provoque le drame. De plus, dans le tome deux, la série est passée d’un personnage central à deux par l’arrivée du cow-boy. Semblant incarner le bien, il est l’antithèse du Ice Cream Man et veut l’empêcher d’agir. Ces nouveaux épisodes nous donnent leurs prénoms – le cow-boy est Caleb et le Ice Cream Man est Rick – et leurs origines.
Ces deux personnages viennent d’un autre univers. Ces créatures magiques s’opposent sur la destinée du monde : Rick est un sadique qui utilise son pouvoir pour faire souffrir tandis que Caleb protège l’humanité. Cette opposition et leurs origines apportent une dimension mythologique : un conflit familial entre deux cousins pour la survie. Ice Cream Man porte également une dimension contemporaine sur l’épuisement des ressources. Les deux personnages ont survécu à un monde dont la nature les prévient que les ressources sont épuisées. Toutes les méthodes pour aboutir à l’effondrement global de l’humanité sont listés.
Ice Cream Man, publié par Huginn & Muninn ne cesse de surprendre le lecteur. Si on pensait au départ suivre des récits d’horreur indépendant, W. Maxwell Prince et Martín Morazzo proposent un duel biblique et même une aventure multiverselle.
Découvrez sur le site les chroniques du premier tome et de sa suite.