La bande dessinée pourrait n’être que la rencontre d’un ou une scénariste avec un ou une artiste. Cependant, il existe des exemples où l’aventure devient collective comme le prouve le livre V pour Vertigo.
Vertigo, à l’ombre de Batman
Dans les années 1980, l’éditeur DC comics connaît un bouleversement à la suite de l’arrivée de plusieurs scénaristes anglais : Alan Moore puis Neil Gaiman, Jamie Delano, Peter Milligan, Grant Morrison… Cette British Invasion bouscule les habitudes des lecteurs en proposant des œuvres plus adultes. Cependant, ces auteurs se heurtent vite aux limites d’un univers partagé avec d’autres séries. De plus, leurs comics ouvertement adultes choquent certains responsables de l’entreprise. L’éditrice Karen Berger propose alors de regrouper sous un label des séries plus matures : ce sera Vertigo. On y trouvera des séries, aujourd’hui mythiques, comme Sandman, Sweet Tooth ou Preacher.
Plutôt qu’une histoire chronologique, V pour Vertigo démontre l’importance de ce label par plusieurs textes thématiques. Le premier présente le contexte ayant permis la création du label. Alex Nikolavitch remonte la filiation de Vertigo à EC comics, un éditeur de séries d’horreur, puis explique le frein de l’auto-censure mis en place par un comité d’éditeur (le comics code authority). C’est le deuxième article qui détaille l’histoire de Vertigo et de ses principaux titres. On découvre la naissance d’un monde propre au sein de DC puis son émancipation progressive en raison d’un ton différent, du refus de participer aux événements communs et de la difficulté d’être en cohérence avec les autres séries. Pour expliquer les crises du label, l’auteur Jean-Baptiste Vu Van met en avant ces relations plus fortes avec la continuité de DC. Les textes suivants font un focus sur différentes séries : Sandman par Fanny Geuzaine, Hellblazer par Boris Bruckler et Sophie Bonadè, Fables par Victoria Lagrange, Transmetropolitain par Siegfried Würtz et V for Vendetta par Guillaume Labrude.
Une explosion de connaisseurs
Malgré la présentation précédente, V pour Vertigo n’est pas une thèse retraçant l’histoire du label. Le projet est né d’un colloque organisé à l’Université de Bourgogne par Isabelle Licari-Guillaume et Siegfried Würtz. Ces interventions sont devenues un livre accessible au plus grand nombre. Le fan de Vertigo est comblé par la richesse des informations tandis que la lecture facile de la plupart des articles permet de découvrir cette époque. Le néophyte ne pourra ensuite que se jeter sur les séries qu’il ne connaît pas.
V pour Vertigo est également une version augmentée du colloque. Des articles surprennent et donc passionnent. Pierre-Alexis Delhaye compare Vertigo et un autre éditeur (Image comics) pour montrer l’invalidité de l’opposition indé et mainstream. Jérôme Rigaud s’intéresse aux cartes à collectionner. L’éditeur s’inscrit dans une démarche d’ouverture de la recherche à un public plus large par le choix novateur des nouveaux intervenants. En effet, des auteurs non-universitaires ont poséspar écrit leurs connaissances : la série Preacher est analysée par Bruce Tringale et Animal Man par Oliver Nolin. De plus, par rapport au colloque, on trouve l’interview de Frank Quitely en fin de volume.
Derrière la diversité des auteurs et autrices dans V pour Vertigo, des lignes de force se dessinent et des personnalités émergent. On retrouve à plusieurs reprises des artistes avec Alan Moore même s’il quitte DC dès 1987. Le scénariste britannique a ouvert la voie dans le marécageux Swamp Thing. Il change la narration et s’intéresse à de nouveaux thèmes comme l’autisme. Il s’agit également de son éditrice, Karen Berger, qui est à l’origine de Vertigo et devient la directrice du label. Elle offre une liberté facilitée par l’abandon du comics code authority. Cet espace permettra à d’autres artistes d’aborder (et montrer) des sujets rarement lus dans la maison d’édition de Batman : la drogue, la bisexualité, l’engagement politique, le transhumanisme…
Avec V pour Vertigo, les éditions du Murmure proposent un ouvrage majeur pour comprendre l’histoire de la bd anglo-saxonne. Souvent facile d’accès, les textes sélectionnés permettent de saisir combien un label autour de quelques séries a eu un impact majeur sur l’industrie du comics mais également sur la pop culture en général par les adaptations récentes en série.
Retrouvez sur le site d’autres textes sur les comics avec un essai sur Doctor Strange et un roman autour des Dark Avengers.