« J’appelle mes frères » : un uppercut à l’âme

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« J’appelle mes frères » : un spectacle à ne pas rater au festival d’Avignon.

Il faut parfois sortir de la ville, traverser les remparts, aller à la rencontre d’un théâtre un peu caché, au coin d’une rue secrète qui se dérobe aux regards distraits des festivaliers.

Il faut aussi parfois braver les nuits chaudes et les horaires atypiques du festival pour découvrir des véritables pépites théâtrales.

C’est ça, la magie du festival d’Avignon.

Un mini parcours du combattant pour trouver une découverte inattendue. A moins que ce soit elle qui nous trouve ?

C’est ce que j’ai ressenti avec le spectacle « J’appelle mes frères », au théâtre l’adresse, à 22 heures.

Ce spectacle, coup de cœur du festival off 2022, m’intriguait. Sur l’affiche, 3 mégaphones tournés les uns vers les autres.

L’appel aux frères sera donc tonitruant et bruyant.

Mais de quels frères parle-t-on ? De quel appel ?

Amor, un jeune homme, maladroit dans ses gestes et ses paroles, déboule dans une boîte de nuit où les corps s’entremêlent. Il tente de se rapprocher, danse, et l’on entend en bruit de fond les sirènes de police, mettant un terme à la fête. Il y a eu un drame. Des explosions dans la ville. Que s’est-il passé ?

La cassette se rembobine.

Dans cette journée, Amor croise, parle, rencontre différents personnages : son meilleur ami, Chavi, qu’il essaye d’éviter à tout prix. En effet, Chavi est le jeune papa d’une petite fille de 4 jours et il décrit, avec moult précisions, les détails liés à ses premières fois, son alimentation, ses balbutiements. Alors, ce jour-là, Amor ne répond pas à ses appels, exaspéré par le harcèlement de son ami. Or, on sent bien que cet appel là est différent des autres. Et ce n’est pas la seule chose que rate Amor.

Il rate sa vie amoureuse, se transformant en harceleur, n’écoutant pas le non de la femme qu’il désire. Il rate son excursion au magasin de bricolage. Il imagine des souvenirs qui n’ont jamais existé, ratant la narration de sa journée qui lui échappe.

Une crise identitaire incarnée avec justesse

Cette succession de ratage est narrée par Lionel Correcher, qui incarne avec brio, justesse et sincérité Amor. Avec lui, 3 autres comédiens, Quentin Crunelle, Floriane Delahousse, Maëlys Simbozel lui donnent la réplique, incarnant de nombreux personnages.

Face à nous, Amor se livre, explose, pleure, se confie. Il fuit. Mais quoi ?

J'appelle mes frères
j’appelle mes frères

La mise en scène est sobre, épurée, au service du texte. Le décor est minimaliste : un portant avec quelques vestes que les comédiens enfilent successivement, 3 tabourets, un cube noir, un piano et 3 mégaphones. C’est amplement suffisant car dans ce spectacle, c’est l’histoire, racontée avec conviction, qui parvient au spectateur et le surprend, un peu comme le chemin emprunté par la narration.

La première partie est drôle, je ne pensais pas autant rire à ce spectacle. Puis, petit à petit, sans même que l’on s’en rende compte, l’atmosphère change et se transforme. Et tout à coup, nous sommes cueillis, brutalement. Le souffle s’arrête et nous comprenons ce qui se passe sous nos yeux et la tournure que prend ce personnage. Car au fur et à mesure des questions qui sont posées, de la crise identitaire qu’il traverse, on perçoit la grande souffrance de ce jeune homme, dépassé et déboussolé dans une société dans laquelle il ne trouve pas sa place.

Vous serez surpris par ce partis pris, l’énergie de ce spectacle porté par les comédiens, et la virtuosité du texte. A ne pas rater cette année, au théâtre de l’adresse.

Auteur

D’après Jonas Hassen Khemiri


Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Floriane Delahousse
  • Interprète(s) : Lionel Correcher, Quentin Crunelle, Floriane Delahousse, Maëlys Simbozel
  • Assistante : Maëlys Simbozel
  • Traductrice : Marianne Ségol-Samoy
  • Régisseuse : Margot Ardouin

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