La magie du théâtre, tu la comprends quand il fait 40 degrés en 2023 en plein festival d’Avignon. Tu traverses un porche, tu t’assoies et tu te retrouves en automne à New York dans les années 70. Et tu y crois.
C’est dans cette ambiance citadine que nous retrouvons les 4 membres de cette famille juive new-yorkaise.
Le portrait de famille
La mère, belle femme dont le rouge à lèvre tient encore, à défaut de sa mémoire, folle, drôle, vivante.
Le fils, narrateur, nécrologue et homosexuel, en conflit avec sa mère, qui se tient derrière lui, un fantôme de soie rouge qui a encore des choses à dire malgré la maladie d’Alzheimer qui lui dévore la mémoire.
La sœur jumelle, en couple avec une femme, qui lit des histoires d’holocaustes à sa fille de 10 mois, celles-ci lui faisant le même effet que Blanche neige.
Et le père, homme brutal, criard, qui a une bonne raison de ne pas venir à l’hôpital : « Et bien oui maman, il est mort.» Cet hôpital que la mère ne quitte plus et qu’elle nomme, par dérision, son nouveau pied-à-terre.
Au crépuscule de sa vie, la mère raconte l’un de ses secrets, qui n’en est pas vraiment un : une liaison amoureuse. Elle convoque ses enfants et les invite dans les souvenirs de cette relation, ce qui donne lieu à des tableaux burlesques, le couple adultère se prenant dans les bras, les enfants entre eux, estomaqués de cette intimité dont ils ne voulaient pas forcément être les témoins si intimes.
Pourtant « les mères baisent aussi, c’est même comme ça qu’elles faisaient des enfants avant ».
Le doute s’immisce dans la logique du fils : et si sa mère avait tout inventé ? Qu’elle n’avait jamais eu d’amants ? Elle perds la tête, non ?
Mais au fond, qu’importe ? Qu’importe la réalité du moment si l’amour est là ? S’il nous emporte une dernière fois, avant le grand sommeil et nous fait ressentir ce pourquoi nous sommes vivants ? Si la sincérité de ces instants si doux viennent renverser une vie trop rangée ? Alors on dit oui, oui à cette folie, à ce qui vous ressuscite et vous enivre. Ça, ça ne meurt jamais.
Avec cette pièce de théâtre, nous sommes plongés dans l’ambiance des films de Woody Allen, qui dépeint des portraits de famille névrosées, survoltées, passant en une fraction de seconde de la détestation à la complicité la plus tendre et la plus belle. C’est tellement révélateur, ces conflits de fratries, dans lesquelles chaque membre connaît les points les faibles, de l’autre, pour bien appuyer dessus et le pousser à bout.
Les décors mobiles de la scénographie induisent une restructuration simple et efficace de l’espace. Un banc se transforme en lit, une borne d’incendie en tabouret. Tout est fluide. Aucune entrée, aucune sortie, chacun trouve sa place et sa partition au sein de l’organisation de la famille.
« Arrêtez de me regarder comme une mère. »
La partition des comédiens est excellente, le casting parfaitement adapté avec une mention spéciale à Frédéric Andrau, en fils dépassé par une mère peut-être trop libre pour son époque.
Quelle sera la révélation du dernier secret de la mère ? A travers une ultime confession, très touchante, l’actrice incarne parfaitement ce moment sur le fil où les anciens redeviennent des enfants, tiraillés par la culpabilité, avec cette sensation de pouvoirs magiques et de fantasmes : c’est à cause de moi si tous ces malheurs arrivent.
Auteur
Interprètes / Intervenants
- Mise en scène : Isabelle Starkier
- Interprète(s) : Frederic Andrau, Francine Bergé, Anne Le Guernec, Jean-Jacques Vanier
- Décorateur : Goury
- Musique : Alain Territo
- Lumières : Julia Grand
- Costumes : Mine Vergès
- Traduction : Bergé/Sanniez/Pelabon
Vous pouvez également retrouver Frédéric Andrau dans « Marion, 13 ans pour toujours », une histoire de famille plus tragique au théâtre Pierre de Lune, et dans « Geli » au théâtre du chêne noir.
La metteur en scène, Isabelle Starkier, présente un autre spectacle : « Boxing Shadows », au théâtre des vents.
Dernier article de Laëtitia GRIMALDI : https://www.justfocus.fr/spectacles/piaf-olympia-61.html