Berlin est aujourd’hui un haut lieu du tourisme alors que, durant la guerre froide, la ville est le symbole de la coupure du monde en deux. Cette division injuste devient même démoniaque dans Apparition dans le ciel de Berlin-Est…
Une ville en pleine guerre
La première scène introductive d’Apparition dans le ciel de Berlin-Est remplit parfaitement son rôle en plongeant le lecteur dans l’ambiance de l’époque : de nuit, un passeur, Herring, pousse ses clients à partir vite afin de franchir le mur de Berlin. Mais, la police est-allemande les surprend. Elle abat ou bastonne les clients tandis que le passeur s’échappe en profitant de l’incompréhensible apparition d’une comète. Herring n’est pas seulement un passeur mais un agent travaillant pour l’espionnage américain. En raison de l’efficacité de la Stasi, la police secrète est-allemande, il est un des rares espions encore en activité. Elle veut savoir ce qu’est cette Apparition dans le ciel de Berlin-Est. En arrivant dans un bunker souterrain, Herring pense encore découvrir un nouveau secret soviétique mais il est confronté à un cauchemar plus gothique.
Apparition dans le ciel de Berlin-Est est d’abord un récit fantastique bien que le contexte historique soit présent. Deux pages illustrent l’omniprésence de la surveillance à l’Est : les lettres sont ouvertes, les appartements sont sur écoute… Le mensonge est constant et la vérité rare. Les civils mentent pour préserver une part de liberté. L’État torture les gens pour que la réalité disparaisse au profit de leur idéologie. On se cache également la vérité à soi-même.
404 graphic sert à merveille ce récit intime. L’éditeur fait le choix d’un grand format à la franco-belge. L’intérieur en papier mat est parfait pour le trait très charnel de Lisandro Estherren. La couverture très graphique – on peut penser aux affiches du Bauhaus – imite un dos toilé. Le première page est une vaste zone rouge fracturée par une faille blanche renvoyant au mur coupant Berlin en deux
Une base plongée dans l’horreur
Depuis que les militaires ont récupéré un objet, une épidémie se diffuse. Comme dans les récits des maisons hantés ou dans The Thing de John Carpenter, les soldats du bunker sont coincés avec une menace surnaturelle décimant leurs rangs. Apparition dans le ciel de Berlin-Est devient également un huis-clos horrifique.
Trois personnages émergent : Herring, l’inspecteur Keiner et Anzhela. Herring est un espion américain désabusé. Lassé de se cacher, il veut rentrer. Par les récitatifs d’Herring, Apparition dans le ciel de Berlin-Est a une ambiance très nostalgique. Il doit se méfier de Keiner. Le meilleur inspecteur de police a déjà démasqué de nombreux espions. Il est invité dans le bunker par Anzhela, le prototype de l’agent soviétique inflexible. Elle est autoritaire et paranoïaque. Apparition dans le ciel de Berlin-Est montre plusieurs personnes ayant abandonné leur particularités individuelles au profit d’un idéal. Face à ces reniements, l’épidémie mystérieuse symbolise la liberté qui, malgré toute l’oppression, est enracinée dans l’âme humaine. C’est aussi un miroir qui révèle aux agents de l’État les crimes qu’ils ont commis.
Le dessinateur Lisandro Estherren a un style atypique dans le comics mais très européen. Les visages et les expressions font penser aux Pieds nickelés et aux strips des années 30-40. Ces grimaces amplifient l’ambiance sinistre en transmettant aux lecteurs l’effroi d’être arrêtés par exemple. Les décors précis illustrent une volonté de coller à la réalité. De nombreuses cases muettes installent une ambiance de plus en plus inquiétante. Il est secondé par le coloriste Patricio Delpeche qui surprend en utilisant des couleurs très chaudes pour un récit pourtant glacial. La première scène de nuit a une teinte cuivrée. On retrouve également l’aspect charnel par une couleur directe réalisée en aquarelle.
La bd est un art magique car avec peu, elle peut faire beaucoup comme le prouve Apparition dans le ciel de Berlin-Est. Le scénario de Loveness fait d’un récit d’auteur une fable philosophique sur la puissance de la vérité. Le scénario est diablement efficace par le choix d’un lieu clos et souterrain. Le style de Estherren marque les corps des êtres torturés tandis que les couleurs chaudes de Delpeche passent de la chaleur à l’hémoglobine.
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