Aléa Drumman ou la piraterie au féminin

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Les récits de pirates constituent un classique de la bande dessinée où il est nécessairement dur de se démarquer. La nouvelle série Aléa Drumman le tente par la réflexion sur le genre et la magie. Prenez la mer dans notre chronique agitée.

Une femme en quête d’héritage

La peur des pirates dans Aléa Drumman
La peur des pirates dans Aléa Drumman

Écrite par Dobbs à partir d’une idée originale de Siamh et Looky, Aléa Drumman s’intéresse à la fille d’une légende. Dans une auberge miteuse, Aléa Drumman est secouée par des violents cauchemars. Elle y revoit la mort de Edward Teach surnommé Barbe Noire lors de l’accostage d’un navire anglais. Ces rêves ont une réalité. D’une part le terrible pirate vient d’être tué par la Royal Navy. D’autre part, elle est la fille de Barbe Noire. Ces rêves prouvent le profond désir d’Aléa : venger son père en tuant le soldat responsable de sa situation d’orpheline. Cependant, en le rencontrant, elle découvre que la situation est plus complexe : si Barbe Noire n’est plus qu’une tête, il est toujours vivant. Elle embarque donc avec cet ancien militaire vers le Bahamas pour trouver les reliques paternelles.

Par son héroïne principale, Aléa Drumman est également un récit sur le genre. L’héroïne est supposée se conformer aux strictes limitations des femmes. Une célibataire constitue nécessairement une menace sociale. Elle n’est pas censée résister à un homme mais elle frappe et met à terre deux hommes. Pourtant, Aléa ne fait que refuser le patriarcat. Elle est une rebelle fuyant les stéréotypes de genres. Par elle, on monte à bord d’un nouveau monde. En effet, pour retrouver la tête coupée de son père, elle devient la nouvelle recrue sur le bateau de Rackham, un lieu pourtant interdit aux femmes. Pour être engagée sur un navire pirate, elle se déguise en jeune mousse. On pourrait croire que cette partie est fictive mais l’histoire est riche d’exemples de femmes se travestissant pour vivre libres.

Un diptyque de piraterie

La magie dans Aléa Drumman
La magie dans Aléa Drumman

Aléa Drumman s’inscrit dans le sillage des classiques récits de pirates. La série en reprend la mythologie avec de nombreux rebondissements. Dans les premières pages, l’accostage installe un rythme rapide. Tandis que les pirates se rapprochent avant de lancer des grappins et de partir à l’aveugle, les marins anglais plus stratèges se cachent dans la cale pour jeter sur le pont des grenades. Ce conflit illustre également une opposition de valeurs entre la recherche de l’argent des pirates et le patriotisme des Anglais. La société pirate repose officiellement sur la fidélité mais elle est surtout gérée par la violence. Dans la marine de guerre, l’idéologie est un leurre. En revenant dans les îles britanniques, les marins pensaient être récompensés pour leur victoire mais ils sont punis par la compagnie. Le capitaine anglais qui a tué Barbe Noire devient un alcoolique sale.

Pour mettre en scène cette épopée, il fallait le talent du dessinateur Siamh. Son style et la mise en page demeurent classiques. On peut parfois être perturbés par le choix de la coloriste Josie de Rosa privilégiant les tons verdâtres et les couleurs fades autour de marron et de l’orange.

Cependant, Aléa Drumman va plus loin que la reprise d’un genre classique car le scénariste Dobbs ajoute une touche gothique. Aléa part à la recherche d’une tête qui parle et l’on retrouve dans la série de nombreux éléments venus des films d’horreur. Avant l’abordage, un navire passe sous une tête coupée posée au fond de l’eau. Dans le premier combat, un capitaine pirate porte une barbe qui s’embrase. La propriétaire de la pension est une vieille femme proche de l’imagerie des sorcières. Dans la chambre, un miroir sourit seul. Tout cela n’est que les prémisses d’une ambiances bien plus infernale… On peut cependant trouver les dialogue parfois bavards.

Édité par Glénat, le premier tome du diptyque Aléa Drumman est une belle promesse. Le lecteur assiste à l’alliance contre-nature entre le tueur et la fille de sa victime. De plus, le dernier tiers du livre propose une piste pleine de souffre annonçant un second tome hors de la routine des pirates.

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