Peu de séries de bd franco-belges dépassent les frontières mais l’Incal est devenue au fil des années une références mondiale. Le nouvel album, Mental Incal, le prouve par ses auteurs nord-américains.
Retour aux sources…
Créé par Jodorowsky et Moebius, l’Incal revient. D’un côté, les Psycho-nonnes jugent les défunts afin d’éviter qu’ils souillent leur monde. Dans leur prière, ces religieuses nihilistes valorisent la mort et vénère l’Incal mental, un artefact protégeant leur monde psychique des défauts du monde réel. Hélas, cet objet mystique a disparu. Un trio vient sur terre pour le récupérer et pratique des génocides pour garder leur monde fermé. D’un autre côté, la reine Tanatah et l’empire Berg veulent utiliser l’Incal. Un minable détective, John Difool, est par hasard engagé dans cette course au trésor. Comme le prouve ce résumé, le fan de l’Incal retrouve des personnages connus. Difool est un détective de classe R, un raté donc. Deepo est son acolyte, un ptérodactyle albinos et bavard. Tous les deux sont poursuivis par le meilleur combattant de l’univers, le méta-baron, venu chercher son fils Solune. Il a cessé d’être un guerrier mais son fils croit que c’est impossible. Par le talent du scénariste Mark Russell, la caractérisation des personnages reste très fidèle à l’Incal. Cependant cette fidélité forte suppose d’avoir relu les débuts de la saga pour s’y retrouver.
Ces différents protagonistes se retrouvent sur le Vivo-monde, centre de la galaxie. Le récitatif donne un ton très amer à ce monde : l’humanité ne fait que survivre. Cette noirceur est compensée par l’humour : les bergs sont des intégristes de l’administration. Ils n’attaquent pas une planète non-répertoriée. On trouve également des moments très mystiques sur le sens de la vie et l’amour filial.
… par de nouveaux auteurs
Depuis plusieurs années, l’Incal est devenu un univers partagé en pleine extension : une nouvelle série sur le Meta-baron et des récits complets en un tome sur des personnages. Aujourd’hui, c’est au tour de John Difool dans un préquel, Mental Incal, personnage central de la première saga. Pour la mettre en œuvre, Les Humanoïdes Associés ont confié les clés à une équipe nord-américaine. Mark Russell est un scénariste engagé de plus en plus populaire par ses récits indépendants. Il montre la force intemporelle de l’Incal en mettant en avant ses points forts : l’hermaphrodisme de la père-mère du Méta-Baron devient aujourd’hui le dépassement du genre avec des passages en écriture inclusive.
Contrairement à d’autres récits, Mark Russell ne réalise pas un ajout mais comble les lacunes entre les cases de Moebius : comment l’Incal s’est retrouvé dans les mains de Difool ? Quelles étaient les relations entre le Méta-baron et son fils ? A quel moment le guerrier ultime de l’univers s’est-il associé à Tête-de-Chien ? Ce récit complet montre l’opposition entre deux mondes : le vivo-monde, un monde réel corrompu et le psycho-monde, monde virtuel parfait. Le dessinateur Yanick Paquette restitue également le style onirique et drôle de Moebius. A la fin, des cases sont reprises du maître démontrant le talent de Paquette. Il plombe l’ambiance dans la première case malgré des couleurs vives de Dave McCaig : une chenille mécanique, servant de camion poubelle ramasse un corps. Il sait être très baroque. Le monde réel a une bordure classique par un fin trait noir tandis que le monde psychique se distingue par des cases avec de nombreuses volutes noires et vertes évoquant l’Art nouveau. Paquette est aussi à l’aise dans les cases cosmiques, les pages mystiques que les paysages urbains.
Par l’Incal Mental, Mark Russell écrit un hommage très fin à l’œuvre originelle en montrant qu’il connaît très bien ce chef-d’œuvre. Il marie avec talent la philosophie cosmique et l’humour. Pour arriver à ce mélange, il est propulsé par le talent de Yanick Paquette.
Retrouvez sur le site d’autres articles sur l’univers de l’Incal avec Kill Tête-de-Chien et le Méta-Baron.