L’air du monde de Victor Kathémo

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Certains romans sont si bien écrits, avec une finesse si spéciale qu’ils semblent tout droit sortis du dix-neuvième siècle, avec tout le raffinement que cette période implique. C’est le cas de l’air du monde de Victor Kathémo, qui présente une trame multiple, à la manière d’un mille-feuille, que l’on cuisinerait en écoutant une mélodie unique en intrigue de fond. La pâtisserie correspondrait donc aux petites histoires qui entourent le quotidien du « héros » : Jérôme Jauréguy.

Après tout, l’auteur propose une œuvre qui porte le nom d’Air du monde. Pour cela, le narrateur qui s’exprime à la première personne va pouvoir raconter son parcours à lui, mais aussi révéler différents autres destins, afin de présenter ce qui pourrait s’apparenter à une gigantesque toile où chaque sujet évoque une part de l’humanité entière. Un vaste projet, pour un roman relativement court d’à peu près deux-cents pages. Pourtant, le défi est remporté haut la main, grâce à une mise en page (et même carrément une mise en scène) efficace, qui n’ennuie jamais et suscite de nombreuses interrogations, maintenant ainsi l’attention du lecteur, tout au long de cette immersion.

D’ailleurs, ce roman va faire voyager son lecteur, car de multiples drames ont lieu à différents endroits de la planète. Par exemple, l’auteur évoque un incident sur l’île Bourbon avec un voleur imaginé par un homme qui pense avoir été victime d’un acte malveillant. Le fou ne cesse de le tourmenter dans ses rêves… Deux chapitres plus tard, le narrateur pose des mots sur l’histoire de Munoz et de son fils. Une famille se voit accueillir le petit garçon sous son toit, mais une tragédie met fin à leurs espoirs d’adoption.
L’imaginaire très riche et dense du narrateur permet de délivrer un discours multiple, qui porte sur de nombreux sujets et des thématiques actuelles, comme le terrorisme, la prostitution, la pédophilie ou la conscience animale. Par exemple, l’auteur Jérôme se souvient d’une histoire qui lui a été révélée par une aubergiste dans le Finistère, à Ouessant. Madame se remémore l’aventure d’un berger du nom de Bidéo. Pour ce petit producteur, il était essentiel d’exploiter des animaux et d’en tirer le maximum de bénéfices, peu importent les conditions dans lesquelles ces sévices s’opèrent. Au prix du bien-être de ses bêtes, il tient à les garder sur une île, malgré les conditions météorologiques déplorables. Un jour, le bétail se rebelle contre l’autorité de l’humain et lui fait payer le prix fort. Si l’homme ne décède pas de ses blessures, la conclusion de Jérôme est la suivante : même les animaux sont sensibles à l’absence du soleil et la dépression peut également toucher ces êtres incapables de parler et souvent considérés comme inférieurs. Cette dépression contre laquelle lutte ce personnage est omniprésente. Afin de soulager ce poids, l’auteur se prend de passion pour cette école, juste à côté de chez lui. Du fait de ce contact avec ces enfants heureux, joyeux et vivants, il souhaite bien étouffer sa propre souffrance… Alors, est-il réellement coupable des faits qu’on lui reproche ? Seul le lecteur-juge pourra en tirer les conclusions qui s’imposent.

En effet, le lecteur est un personnage, une entité à part entière dans ce roman dramatique. Dans cette intrigue multiple, le lecteur est aussi le juge. C’est lui qui reçoit le narrateur, qui aurait commis un crime — face auquel il entend bien se défendre et s’expliquer. Pour cela, il lui faut raconter son parcours dans le détail, afin de mieux comprendre et cerner sa personnalité. C’est donc une espèce d’enquête atypique et insolite, qui se déroule au sein de cette œuvre originale.
Dans ce quotidien étouffant et morne, le lecteur cherche à briser cet ennui, à trouver un sens à sa vie. Cela inclut les soirées au bar ou bien quelques rendez-vous avec des femmes qui ne semblent pas le divertir ou lui apporter ce qu’il désire. Après tout, que veut-il vraiment ? Lui qui se retrouve blessé au plus profond de lui-même, à chaque fois qu’il apprend l’existence d’une énième tragédie dans le monde ? Jérôme ne rentre jamais dans la danse. Il reste à l’extérieur de la piste, regarde les acteurs et les performeurs bouger, mais n’y prend pas part. D’ailleurs, cet « outsider » ne souhaite pas ressembler à ces gens, qui se sont habitués à la violence infligée aux autres. Lorsqu’une enfant disparaît dans l’école à proximité de son domicile, les choses se compliquent. Un évènement qui le perturbe hautement, puisqu’il va jusqu’à entamer des rondes pour la retrouver. En fait, au plus profond du narrateur boue une colère qui l’anime et l’empêche de vivre les yeux fermés. C’est sans doute pour cela que la dépression s’est développée à ce point en lui. Existe-t-il une porte de sortie pour lui qui se joue tant des institutions et des élites ? Comme le livre le dit si bien, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Une citation iconique que l’on doit à Saint-Bernard de Clairvaux.

L’air du monde de Victor Kathémo est un texte qui fait réfléchir, qui répugne, qui interroge. Ce texte met particulièrement bien en lumière la dépression, qui est un sujet relativement méconnu et sur lequel les experts commencent à se pencher davantage. Un « mal de l’esprit », une véritable maladie à ne pas prendre à la légère et qui peut entraîner des drames. Et si la clef vers la guérison reposait sur l’entraide et sur l’écoute ?

Le site de l’auteur :
http://victor-kathemo.com/