Notre avis sur ROYAN, La professeure de français

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Comment mettre en scène un roman ?  Comment jouer les conflits d’une conscience qui se défend et se flagelle à la fois ? C’est le pari de Frédéric Bélier-Garcia qui a monté une pièce à partir du roman de Marie Ndiaye avec qui il a travaillé en étroite collaboration. Le metteur en scène avait déjà représenté les œuvres de la talentueuse autrice, et ce roman ROYAN, La professeure de français, l’a sans doute attiré pour sa thématique délicate ; et peut être visualisait-il Nicole Garcia interpréter ce rôle. 

Cette représentation eu lieu le mercredi 26 janvier à 20h au théâtre Espace Cardin.  

L’histoire est basée sur un fait divers à Royan. Une élégante femme blonde est professeure de français. Née à Oran, elle commence sa carrière professionnelle à Marseille. Puis pose ses valises à Royan. Dans une de ses classes, se trouve son élève préférée, Daniella. Élève brillante mais qui pouvait rebuter par son apparence, par sa manie de s’enlaidir. Elle voyait dans ses yeux qu’elle le faisait exprès. Elle voyait beaucoup de choses à travers ces yeux clairs. Elle avait sans doute vu la détresse, cette détresse qui a poussé cette jeune fille à se défenestrer. La professeure continue à vivre…ou à fuir la vie. La réalité la rattrape un jour au seuil de son appartement. Les parents de la jeune fille cherchent à la contacter et l’attendent devant la porte de son appartement. Arrivée dans le hall, dans la cage d’escalier, elle ressent leur présence. Piégée entre la jungle et son nid, elle commence à parler. 

Garcia et la mise en scène

Nicole Garcia épouse parfaitement la silhouette et les atours que l’on se dessine lorsque l’on imagine cette professeure, blonde, fière, qui « marche dans les rues(…) forcenée, inquiète et séductrice ». Même si l’adjectif central tente de se cacher entre la force des deux autres, il attire curieusement notre attention et l’on regarde de plus près la fragilité de notre personnage. 

 Une femme trop sûre d’elle, que cache t-elle ? Qu’essaie t-elle de sauver ou de prétendre ?

Elle est blonde, enfin un blond légèrement teinté pour être similaire aux rayons du soleil, un chemisier de qualité, un trench, un style classique chic avec des chaussures à la Richelieu.  

Garcia a naturellement une voix grave et calme. Cela crée un contraste avec la tempête de la conscience qu’on voit arriver. Cela renforce le fait que tous ces effort physiques ne sont qu’illusions, pour un personnage bien construit autour d’une âme presque vide.

Garcia arrive sur scène d’un pas assuré, longeant le parterre orangé du rez de chaussé, mimant les gestes quotidiens, répétitifs, rassurants d’un être qui rentre chez lui, dans son cocon, à l’abri de toutes les réalités extérieures. Elle pénètre au rez de chaussée de son immeuble, près de la cage d’escalier, elle prend son courrier.  Peut-être des abonnements à des revues littéraires ? Elle les glisse dans sa sacoche de cuir claire et brune, symbole classique du professeur, symbole du savoir professoral. Ces actes et ces objets illustrent sa volonté de « pénétrer tout savoir et l’assujettir afin que rien ne puisse (la) saisir au dépourvu ». 

Pourtant, dans ce rez de chaussée froid, lieu le plus incommodant, le plus inconfortable, pour se livrer, elle commencera son monologue. Elle est obligée. Entre les rues ensoleillées de Royan, dans lesquelles elles ne veut plus retourner….car elle est fatiguée, elle veut rentrer chez elle pour « oublier », oublier les parents, oublier ses amis….ses amis « collègues »….soit son monde du travail. Pour oublier que personne ne l’attend ni ne la connaît vraiment à l’extérieur. Même chez elle, elle oublie de se regarder. La mise en scène est remarquable pour illustrer cette prise au piège dans sa conscience. Elle lève les yeux au ciel, ou plutôt vers son appartement devant lequel les parents de Daniella , elle le sent, l’attendent pour discuter. Son appartement, sa conscience dans laquelle les parents et Daniella gravitent. Ce rez de chaussée apparaît comme un purgatoire, qui l’obligera à confronter ses remords et sa mauvaise foi, à regarder sa vie et le poids des responsabilités qu’elle a finalement toujours fui. Cette mise en scène nous rend en quelque sorte psychologue de cette femme qui, en arrivant dans cette impasse physique,  comprend qu’elle doit parler pour se délivrer. 

 Le milieu de la scène correspond à la cage d’escalier, comme un tunnel communicationnel dans lequel ses cris plaintifs et ses reproches remontent jusqu’aux oreilles des parents, qui ne l’entendent pas. Mais s’instaure ici un faux dialogue. Dans ce centre , il y a 4 chaises. À droite, une chaise à cheval sur une autre, représentant sans doute le couple parental. Une chaise est dos au public, pour l’absence de Daniella et une chaise est tournée face au public, pour le monologue forcé de la professeure. Ce centre scénique est le lieu symbolique, cette discussion qui n’a pas vraiment lieu entre ces 3 acteurs ; elle ne trouve pas de lieu pour exister, pour se développer.

Le jeu de Garcia et l’esprit de la professeure

Cette pièce expose les angoisses d’une femme, les angoisses d’une professeure, les angoisses d’une professeure de français. 

Être une femme, c’est vouloir s’affirmer dans le monde, trouver sa place, être aimé des autres, savoir aimer. Mais c’est plus difficile lorsque l’exemple maternel, seul modèle, est une mère qui a abandonné son existence et ses responsabilités, qui détestait la vie et s’est fait détester de sa fille qui aurait pu la tuer. 

La professeure n’est pas dissociable de la femme, en proie à ses peurs et ses névroses. Comment être responsable, comment endosser un des grands postes à responsabilité quand on nous as appris la fuite ? Quand on a pas su être maternée, maternelle ? Lorsque l’on a abandonné son propre enfant, comment éduquer et prendre soin des enfants des autres ? 

La professeure de français, est- ce une femme qui cherche le pouvoir mal placé, une usurpatrice ? une âme vide qui vit dans ses romans et s’autorise à parler de la vie des autres ? Les élèves ressentent le mensonge, et la classe se change en champ de bataille, en terrain de chasse où elle devient la biche . Comment garder son autorité quand on est percée à jour ? Et si pour éviter d’être dévorée il fallait laisser en pâture quelqu’un de tout aussi faible, mais qui, elle, ne ment pas. 

Daniella ne ment pas, son apparence l’atteste et ses yeux clairs le prouvent. 

Elle était son élève préférée mais elle détestait son allure, son apparence physique : des nattes mal tressées et dressées comme des pics sur sa tête. Son sarwelle vert, et la disgrâce de certaines parties de son corps qu’elle aurait pu cacher pour sa dignité. « Qu’avait-elle à bouleverser le goût publique ? ». Des phrases libérées ainsi sur scène, sans filtre. Garcia jouait avec sa voix pour l’ironie et le ton cynique. Elle éprouvait de l’amour et de la répulsion pour cette élève qui à cause de ses yeux clairs lui montraient en miroir la même faiblesse, elles se voyaient et se comprenaient. Voila pourquoi elle évitait le regard de cette méduse qui la pétrifiait, la renvoyant à sa fragilité mentale. 

Elle savait donc la détresse de Daniella. Alors pour représenter sur scène les retords et la confrontation entre la mauvaise conscience et la mauvaise foi, Garcia se déplace de gauche à droite. Ou bien elle monte au premier étage et y laisse sa sacoche, son savoir pour pouvoir libérer sa parole et faire descendre la femme et non la professeure au rez de chaussée, mais la sacoche contient aussi les lettres de Daniella, qu’elle place loin d’elle…

Les mots et son jeu s’accordent parfaitement, c’est une tension extrême. Un délire, ou presque, de prisonnier pris entre 4 murs. Elle s’ordonne de ne pas répéter, mais elle répète sans cesse plusieurs phrases : « c’est pas ma faute », « j’ai rien à vous dire » « qu’est ce que je vous ai fait ! ». Peut être justement n’a t-elle rien fait…

conclusion

Cette pièce est remarquablement bien jouée. Elle est bien mise en scène car on le rappelle, le texte originel n’était pas écrit à ces fins. Le jeu d’actrice nous transporte dans son monologue. On se laisse ballotter par les mouvements des vagues d’une âme sans jamais se lasser.

Ou peut être fallait il se sentir concerné par le sujet ? On ne peut pas nier certaines tragédies de nos sociétés, à savoir que des enfants scolarisés se suicident, et que le rapport professeur élève est un des liens forts qui existe.  

C’est une œuvre intéressante car elle fait apparaître une certaine psychologie d’un professeur qui succombe sous le poids des responsabilités. C’est une réflexion sur les armes dont le professeur doit se doter, sur les faiblesses qu’il doit affronter. Le jeu est poignant, on félicite Nicole Garcia. Malheureusement, j’ai découvert cette pièce tardivement et il ne reste que 4 jours pour aller la voir. N’hésitez pas ! Même si je crois  que sans le savoir cette œuvre a provoqué un malheur sur la terre. (Marceline Desbordes Valmore).