C’est au sujet de la représentation d’Antigone au théâtre de la comédie Saint Michel, le 29 octobre 2021, que cette critique est réalisée. La pièce est écrite par Pascal Olive et la mise en scène est faite par Françoise Odolant.
Réécriture du mythe, réécriture de Sophocle, réécriture d’Anouilh, Antigone est une œuvre qui renouvelle encore notre réflexion. On veut la réutiliser, on veut la remodeler pour qu’elle soit notre, pour qu’Antigone soit notre contemporaine. User de cette histoire comme d’une philosophie, user de cette histoire comme d’une leçon de vie. On en a besoin. Elle trouve sa place dans chaque époque et elle résonne dans la nôtre.
Antigone : Une réécriture inspirée
Pascal Olive, qui s’empare audacieusement de l’œuvre, fait vivre Antigone dans la France de la Libération en août 1944. Ses deux frères s’entretuent devant l’hôtel de ville d’Orléans. Etéocle était gaulliste et Polynice pétainiste. Antigone, reproche à son oncle Créon, le maire de la ville, de ne vouloir honorer que la mémoire d’Etéocle. Antigone fait le choix que l’on sait d’aller honorer le corps de Polynice. Sa famille, tout de même bienveillante, essaiera de la raisonner….mais chacun tirera un avantage personnel de la situation.
Ce soir là, le rôle de Créon était tenu par Philippe Gendron, Antigone par Rabiàa Tlili, Hémon le cousin et promis d’Antigone par Swann Nymphar (sa première dans le rôle), Ismène sœur d’Antigone par Fanny Heurguier, Eurydice femme de Créon par Martine Delor, et l’agent FFI par Eric Moscardo.
Une mise en scène efficace
Françoise Odolant a réussi le pari, sur une petite scène, de planter un décor simple capable de faire apparaître trois lieux à la fois. Sur le devant de la scène, à droite, se trouve une chaise en bois sur laquelle est déposée un linceul. Au début de la pièce, Antigone est à genoux près d’elle, le regard hagard, aspirée dans ses pensées intimes, le visage exprimant les souffrances tortueuses d’un choix à faire. Cette partie de la scène représente sans doute la chambre d’Antigone. Au fond à gauche, se trouve le bureau du maire Créon. Sur le devant gauche de la scène, il y a une console sur laquelle est posée une radio. Au dessus de la console, trône le portrait du général de Gaulle, et posé à ses pieds, par terre, gît le portrait de Philippe Pétain.
Cette radio, incarnant les médias, l’opinion publique, s’allumera au moins 3 fois pendant le pièce. Le coté gauche de la scène sert de salon et de bureau pour la demeure familiale. Au devant de la scène, deux fauteuils confortables, tissés et rembourrés, contrastent avec la simplicité et la nudité de la chaise d’Antigone. La scène fonctionne en bipartition, les deux cotés s’opposent. Le coté droit représente peut être symboliquement la droiture d’esprit et l’intégrité d’Antigone qui assume la justice et ses combats en parallèle du front gauche où le confort de suivre la foule est idéal pour servir ses intérêts.
Enfin, au fond de la scène, en arrière plan ou en position centrale, se trouve le cercueil d’Etéocle drapé des couleurs de la France. Cet endroit représente sans doute la place publique, les marches de l’hôtel de ville, le lieu central où se jouera la tragédie.
Des comédiens de qualité
Concernant le jeu des acteurs, ils arrivent à faire apparaître et à faire ressentir la confrontation entre la révolte raisonnée d’Antigone et l’affabilité soumise et peureuse de sa famille. Le contraste est absolument bien rendu. Mais il y a aussi quelque chose d’étonnant : il est presque insupportable d’entendre les voix des deux camps.Les personnages arrivent à nous faire épouser leur point de vue et leurs sentiments dès qu’ils parlent. Rabiàa Tlili joue comme une tragédienne, elle est remplie de cette passion de la révolte contre l’injustice, remplie aussi de la passion de l’amour, et du courage de faire le bien : elle est littéralement emportée par sa conscience qui lui dicte sa conduite. Elle vibre sur scène, sa voix porte davantage que celle des autres.
Ainsi, le contraste est frappant face à la platitude des sentiments de sa famille. Ils sont modérés, ils soufflent, sont impatients devant autant d’emportement. Ils ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre. Ils sont presque lassés, fatigués, agacés, en colère. Ils tentent de la « raisonner » mais trouve par la même occasion un moyen de tirer profit de la situation. Ce qu’il y a d’extraordinaire c’est que le spectateur comprend aussi les deux points de vue grâce à la transposition historique.
D’un coté, on épouse le point de vue d’Antigone, on n’accepte pas la destinée infâme du corps de Polynice. Rabiàa nous emporte dans son jeu théâtral, et alors on voit apparaît la médiocrité, la petitesse d’esprit des autres personnages. L’ambition et l’avarice de son oncle. La lâcheté d’Eurydice : celle ci lui reproche et lui envie son coeur « trop pur », elle avoue à demi mot l’admiration qu’elle porte à son courage, la force qu’elle a de se dresser contre le monde au nom de ses idéaux et de sa conscience. La traitrise d’Hemon et d’Ismène apparaît flagrante, chacun y trouve finalement son compte sur la tête d’Antigone. Créon, dont le but est de s’attirer l’approbation de l’opinion publique et d’obtenir une place supérieure, dessine un sourire satisfait et écoeurant. Et même si à un moment de la pièce, Créon se retrouve seul, tête en main, en proie au doute…sa femme arrive, le fait danser pour valser avec les Ffi lors de leur réception. L’instant de réflexion est évacué et ils préfèrent danser quand Antigone mourra. Le dégoût et l’agacement nous prend.
Notre avis
Si l’on regarde cette pièce dans son contexte historique primitif, l’antiquité, le spectateur se rangera sans doute plus facilement du coté d’Antigone. Mais c’est en plaçant cette héroïne dans la France de 44, dans ce passé pas si lointain, qu’on regarde la pièce avec notre cœur que l’Histoire à modeler. L’agent FFI dit fièrement :« les vainqueurs écrivent l’Histoire », et le vainqueur impose la norme et définit ce qui est bien. On a tous intégré plus ou moins que la collaboration du régime de Pétain était une honte, un pacte avec l’ennemi, et notre conscience contemporaine rejette en bloc tous ces collaborateurs du passé.
Ainsi, lorsque Antigone clame, d’une voix héroïque, l’envie d’enterrer son frère collaborateur, elle nous paraît presque insupportable, sa voix nous dérange. On écoute celle de la radio mais on veut éteindre la sienne, on ne veut plus rien à voir à faire avec ce régime là et tout ce qu’il comprend, même si ce sont nos propres frères qui ont été impliqués…Avec ses grandes tirades de tragédienne en alexandrin, elle contraste avec la simplicité médiocre des autres personnages…..ces personnages qui nous ressemblent peut-être. On a assimilé l’histoire du vainqueur à la notre, comme notre identité nationale. Alors on peut se surprendre à souffler de gêne avec eux. Cette pièce mobilise à la fois notre esprit conditionné par l’histoire de notre pays et en même temps les élans naturels de notre cœur. Jusqu’à ce qu’Antigone nous lance un appel à témoins, en nous pointant du doigt, au moment où elle trouve le courage de parler au peuple, elle nous donne une chance de nous positionner : « Vous !!! vous l’avez connu mon frère et même un peu aimé ! »
Ainsi, fait elle de nous des membres de la foule Orléanaise en 44 assistant à sa mort publique, en hypocrite et lâche. Mais parce qu’elle utilise l’amour comme argument, elle force notre empathie et notre réflexion : et moi ? De quel cotés me rangerais-je ? Celui du vainqueur ou celui de la morale ?
C’est la même question à laquelle Antigone répond lorsque, sur sa chaise de bois le linceul et robe de mariée se superposent : doit-elle épouser la mort ou l’opinion publique? Elle a déjà répondu, elle, elle a déjà sa propre histoire.
Gwendoline Launet