Faites l’Autopsie d’un imposteur à Bruxelles

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Comment trouver sa place quand on est certain de ne pas la mériter ? Cette problématique digne d’une dissertation de philosophie et placée en quatrième de couverture d’Autopsie d’un imposteur est aussi intrigante que conforme au thème de cette sortie de Delcourt. Suivez notre démonstration pour découvrir le fin mot de cette enquête.

Récit d’un ambitieux

La chambre de L'Autopsie d’un imposteur

Louis Dansart vient de quitter sa province pour conquérir la capitale. Fuyant sa famille de paysans pauvres, il était venu étudier le droit et devenir quelqu’un d’important. Mais, contrairement à Rastignac, il ne s’agit pas de Paris mais de Bruxelles. Quand il se promène, il observe les bourgeois en rêvant d’en faire partie, mais le soir il doit bien rentrer dans petit et froide chambre d’étudiant. Alors qu’il se rêve dans une maison particulière, il est le voisin d’une prostituée avec qui il a des relations épisodiques. Pire, il se fait jeter d’une boutique de vêtement par le patron qui ne peut imaginer qu’un homme si mal habillé puisse avoir les moyens d’acheter un costume de luxe. Au départ, Louis refuse de se compromettre avec le démoniaque monsieur Albert mais ses dettes à l’université et à sa logeuse le poussent à toutes les extrémités. Dès les premières pages, on sent qu’un drame se noue.

Cependant, le récit sort de cet apparent classicisme car le héros est conscient qu’il existe un narrateur. Il lui demande même de se taire pour pouvoir dormir en paix. C’est le début d’un dialogue entre un narrateur omniscient et particulièrement dur et Louis Dansart en colère qui refuse de renoncer à ses rêves. Un autre personnage maîtrise lui ce dialogue et impose au narrateur ses mots. Cependant, tous sont dénués d’humanité et le livre devient le glacial portrait d’un homme et d’une ville.

Retour vers le passé

Le passé des café dans de L'Autopsie d’un imposteur

Dans les premières pages de l’Autopsie d’un imposteur, le lecteur est ému par ce pauvre jeune homme qui se débat pour grimper dans l’ordre social. Mais, cet anti-héros se révèle le plus souvent profondément antipathique. Le narrateur ne se gêne d’ailleurs pas pour partager son mépris sur la première page. Il est certes cultivé mais devient pédant. Il est persuadé que l’Exposition universelle de Bruxelles qui s’annonce est l’événement qui va changer sa vie. Il pense séduire l’élite par son esprit mais ouvre la porte de ce monde par son corps. Son ambition dévore les lambeaux de morale qui subsistaient en arrivant dans la capitale. Littéralement, le scénariste propose de faire l’Autopsie d’un imposteur prêt à tout pour faire partie de cette élite moderne qui le rejette.

Cependant, ce récit complet en un tome sort du simple portrait individuel en brossant une sombre galerie de personnages. Louis est confronté à de vieilles femmes en manque de douceurs, de masques de lézards et un écrivain raté. Louis Dansart n’a pas lu le sociologue Bourdieu sur la reproduction sociale mais il vit cette honte sociale et cette haine des riches au quotidien. A l’inverse du scénario glaçant, le dessin de Thomas Campi est profondément humain. Son héros a la beauté de la jeunesse mais aussi la froideur d’un arriviste. Ses couleurs chaudes sentent le souffre de l’enfer. Il sait multiplier les expressions sur le visage de Louis Dansart pour nous monter la complexité d’un être.

Autopsie d’un imposteur est au départ une proposition du dessinateur et coloriste Thomas Campi lancé à son collaborateur régulier, le scénariste Vincent Zabus de réaliser un polar dans les années 50 et de le situer à Bruxelles. On retrouve cette inspiration littéraire par le découpage en chapitre. La ville est alors en pleine transition. Encore marquée par les destructions de l’occupation et des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, la ville transforme ces ruines dans d’immenses chantiers en prévision de L’Exposition Universelle de 1958 comme le montre l’Atomium en construction.

Edité par Delcourt, Autopsie d’un imposteur est le récit sombre d’un étudiant honnête qui sera prêt à tout pour accéder à l’élite. Zabus et Campi rédigent également une étude sociologique de la société bruxelloise des années 50 (mais encore d’actualité). L’arrogance, le mépris voire la haine de l’élite mettent en rage le héros mais aussi le lecteur. Seul le dénouement déroutera peut-être certains.