BAC Nord, entre le réveil du polar français et le drame arbitraire

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À la tête du box-office et réalisant le troisième meilleur démarrage de l’année pour un film français, BAC Nord du réalisateur marseillais Cédric Jimenez est un véritable évènement cinématographique.

D’abord par la satisfaction de voir un polar français renouant avec le public dans les salles, Olivier Marchal n’étant qu’un des derniers tristes représentants d’un genre fondateur du cinéma hexagonal. Cela s’entend, l’on pourrait citer des films hybrides comme Une Vie Violente de Thierry de Peretti, à mi-chemin entre le drame social corse et le film de mafieux, ou encore l’éclatant Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin, invoquant avec une maitrise rare le cinéma de Jacques Audiard et de Brian De Palma au cœur de la cité phocéenne. Des films aux antipodes d’un BAC Nord semblant se raccrocher à un cinéma beaucoup plus lointain.

Pourtant, le quatrième long métrage du réalisateur de La French est aussi un film tiré d’une affaire très médiatisée, le scénario s’accrochant ainsi aux ressentis, aux récits des policiers impliqués à l’époque. C’est cela toute la problématique du dernier film de Cédric Jimenez, ayant suscité une très grande polémique qui n’aura pas fini d’être nourrie par les journalistes, les politiques et le public durant toute son exploitation et au-delà.

L’humanisme envers et contre tout

BACNORD © JEROME MACE / CHIFOUMI PRODUCTIONS
BACNORD © JEROME MACE / CHIFOUMI PRODUCTIONS

2012. Près de la moitié des effectifs de la BAC Nord de jour sont inquiétés pour des délits divers allant de l’extorsion en bande organisée aux violences physiques aggravées. Sept d’entre eux seront emprisonnés durant l’enquête. Très vite, le réalisateur de HHhH, le minot des quartiers nord ayant lui-même eu affaire à la police durant son adolescence, s’interroge sur le traitement médiatique et la réalité des faits. Ce n’est que des années plus tard que le producteur de BAC Nord, Hugo Sélignac, lui proposera de rencontrer les policiers de la BAC impliquée.

S’en suit alors l’écriture avec sa compagne, Audrey Diwan, et cette recherche thématique des individus broyés par la hiérarchie, voire le système. Les intentions sont claires : raconter les hommes derrière les insignes et confronter les institutions à l’humanité des protagonistes. Mais c’est ici que se situe la limite de BAC Nord: Marseille semble être un alter-ego magnifié, une métaphore sauvage de la jungle urbaine réduisant le baceux à sa plus sombre humanité. On pourrait citer la jeune informatrice, jouée par la talentueuse Kenza Fortas (Shéhérazade), démystifiant un monde viril et ajoutant une teinte de singularité. Toutefois, les quartiers nord apparaissent, quant à eux, déshumanisés, bien que la violence, bien réelle, soit un passage obligé. Il est évident que Cédric Jimenez ne souhaitait pas confronter ses policiers à la cité mais bien les assimiler, filmant au cœur des Oliviers, s’entourant des citadins et ainsi jouer la carte du naturalisme.

Néanmoins, l’esthétique aussi bien visuelle et narrative, tirée du western et de l’actioner, peine à éviter la sédition totale. Malgré cela, le style est imposant, le cinéaste filmant sa ville avec un regard sensible à la manière de Jean-Bernard Marlin dans Shéhérazade. Du point de vue du genre, BAC Nord s’impose comme un polar audacieux, il l’est moins dans sa dimension sociétale et politique. Pourtant, cette désignation sèche de l’hypocrisie politique et des pouvoirs publics résonne comme rarement dans le cinéma français. Un pari osé qui divisera de nombreux spectateurs malgré une humanité franche et jusqu’au-boutiste.

Un trio de cinéma

BACNORD © JEROME MACE / CHIFOUMI PRODUCTIONS
BACNORD © JEROME MACE / CHIFOUMI PRODUCTIONS

Difficile de ne pas adhérer à l’authenticité de ces trois baceux, avatars de toute une brigade bien que ces trois personnages s’inspirent de vrais policiers impliqués. Cédric Jimenez a fait un travail impressionnant de justesse dans la création de ce trio à-demi fictionnel et biographique. Durant de longs entretiens entre les acteurs, le cinéaste et l’ancienne brigade nord, la recherche de la sincérité était de mise et cela se ressent dans BAC Nord. Que ce soit par l’interprétation de François Civil, Karim Leklou ou Gilles Lellouche, chacun contribuant à une exploration sensible et à hauteur d’homme du quotidien de la BAC. On regrettera amèrement que le même travail ne soit pas fait du côté des civils et des habitants des cités, ayant eux-mêmes participé à la figuration et aux cascades. D’autant plus lorsque le personnage d’Adèle Exarchopoulos, donnant du cœur à « la femme des ripoux », soit lui-même un policier.

Néanmoins, il est clair que l’immersion est spectaculaire. La limite de ce trio résidant davantage dans la dernière partie du film relatant l’emprisonnement des policiers. En se raccordant bien plus aux faits réels, le cinéaste ne les traite finalement qu’en surface. Celui-ci restant prudent face à un procès n’ayant pas eu lieu durant l’écriture et le tournage. Reste un Gilles Lellouche impressionnant en symbole du mal-être policier et de sa position fragile face à la hiérarchie bien que cela sonne creux voire idéalisé. À plus forte raison lorsque cela a été précédé par une confrontation, ayant eu lieu plus tôt dans le métrage, avec une IGPN hostile presque chimérique.

 

À la fin, BAC Nord ne révolutionne pas le genre mais force est de constater qu’il renoue de plein fouet avec un cinéma qu’on croyait pratiquement disparu. De par sa maîtrise technique et narrative, le dernier film de Cédric Jimenez ne laissera personne indifférent. Incontestablement, l’aspect socio-politique pourra déranger et dérangera. À l’opposé, il ne serait pas aberrant de saluer l’humanisme d’un réalisateur voulant rendre hommage aux laissés pour compte. Une thématique profondément inscrite dans son cinéma et ce encore pour longtemps.