Circé est le deuxième roman de Madeline Miller, paru en 2018. Dès sa publication, Circé devient un véritable best-seller selon le New York Times. Le roman remporte également de nombreux prix, à l’instar de son premier roman « Le Chant d’Achille ». Ces deux romans, traduits en de nombreuses langues, nous plongent dans le monde si passionnant de la mythologie, un monde cher à Madeline Miller qui enseigne le latin et le grec au lycée aux États-Unis. Le roman Circé est actuellement en cours d’adaptation pour une série avec HBO Max.
Synopsis de Circé de Madeline Miller
« Helios, dieu du soleil, a une fille : Circé. Elle ne possède ni les pouvoirs exceptionnels de son père, ni le charme envoûtant de sa mère mais elle se découvre pourtant un don : la sorcellerie, les poisons et la capacité à transformer ses ennemis en créatures monstrueuses. Peu à peu, même les dieux la redoutent. Son père lui ordonne de s’exiler sur une île déserte sur laquelle elle développe des rites occultes et croisent tous les personnages importants de la mythologie : le minotaure, Icare, Medée et Ulysse… »
Une fresque mythologique contemporaine
À travers son roman d’environ 550 pages, Madeline Miller nous plonge dans une fresque mythologique dense et riche. Grâce à ses connaissances, elle offre une nouvelle vision de ces figures mythologiques que nous connaissons plus ou moins. Nous rencontrons alors, au fil des pages, des mythes comme le châtiment de Prométhée, la naissance du Minotaure ou encore l’Odyssée, et quelques autres figures connues comme Zeus, Athéna, Ulysse, Dédale, Les Titans, Adriane, Scylla, Télémaque, mais aussi Jason et Médée, pour ne citer qu’eux. En plus de simplifier cette fresque, la romancière s’attache à apporter un nouveau souffle contemporain à ces histoires. Dès lors, mythes et fictions se mêlent dans Circé.
Tous ces personnages se croisent et s’entrecroisent au prisme du mythe de Circé, qualifiée comme secondaire dans la mythologie. C’est donc à travers Circé que l’écrivaine nous peint un pan de la mythologie grecque. Ainsi, tous les mythes et figures invoqués ici impliquent l’intervention de Circé, une implication souvent ignorée et oubliée. À travers cette galerie de portraits, le point de vue de Circé apporte un regard nouveau et une autre interprétation des tumultes des dieux d’Olympe qui dominent les mortels.
Le personnage de Circé : de déesse à sorcière
À travers son roman, Madeline Miller met en lumière un personnage mythologique féminin considérée comme secondaire : Circé. Circé, signifiant « oiseau de proie » est une puissante magicienne. Homère la décrit comme « particulièrement experte en de multiples drogues ou poisons, propres à opérer des métamorphoses ». Fille d’Hélios, Dieu du soleil et de l’Océanide Perséis, une nymphe aquatique, elle est également qualifiée, grâce à sa naissance divine, comme une déesse par les auteurs antiques. C’est le cas de Virgile, Ovide, Hésiode et d’Homère. Cependant, son statut de déesse est souvent remis en question, non seulement par les auteurs antiques comme a pu le faire Cicéron, mais aussi par les dieux, eux-mêmes.
Ainsi, dès sa naissance, elle se retrouve délaissée par ses parents, la jugeant pas assez belle pour être intégrée sur le mont Olympe. Invisible et insignifiante, elle occupe alors une place particulière. En effet, fille d’un Dieu et d’une mortelle, elle se situe à la croisée des chemins entre le monde divin et le monde humain. Dotée d’une voix de mortelle, désagréable aux oreilles divines, elle se démarque des autres dieux grâce à sa personnalité singulière et sensible. Et cette singularité la rapproche plus de l’humain que du céleste. À la fois nymphe et demi-déesse, Circé est souvent qualifiée de sorcière. En effet, elle découvre rapidement ses talents de sorcelleries, des talents que condamne Zeus.
Bannie de l’Olympe, elle s’exile sur l’île d’Ææa (ou Ééa) dans une profonde solitude. Et c’est dans cette solitude, qu’elle découvre non seulement ses pouvoirs, mais apprend aussi à connaître les mortels, qui l’intriguaient tellement. Au chant X de l’Odyssée, Circé voit débarquer sur son île, Ulysse et ses compagnons. En guise d’accueil, elle leurs offre boissons et nourritures, afin de les transformer en porc. Ulysse, prévenu du devenir de son équipage, accourt vers la maison de Circé, accompagné d’une herbe nommée « moly » qu’Hermès lui a donné pour contrecarrer le poison de la magicienne. Puis, naisse entre eux, une idylle qui durera une année. C’est à travers cet épisode que le personnage de Circé va être raconté. Ainsi, elle apparaît souvent négativement avec des termes dépréciatifs de sorcière ou d’enchanteresse.
L’histoire d’une femme singulière
Sous la plume de Madeline Miller, c’est une toute autre Circé qui s’offre à nous. Ainsi, la romancière mélange toutes les facettes de ce personnage, coincé entre deux mondes. Dans une dichotomie entre déesse et sorcière, Circé apparaît complexe dotée d’une grande humanité et d’une capacité émotionnelle, inconnue des autres dieux : la honte, la tristesse, l’empathie. Marginale, sous le joug d’une figure paternelle autoritaire, elle se retrouve exilée et isolée du reste du monde. Et c’est dans cette solitude qu’elle trouve son salut.
Dans un récit intimiste, le roman narre l’histoire d’une femme singulière dans une quête identitaire. Nous suivons son évolution, pas à pas. Entre épreuves et rencontres, Circé se découvre, se dépasse et tente de tracer son propre destin. Elle fait de son don qu’elle puise en elle-même et au cœur de la nature, sa véritable force. Sur cette île, elle quitte son statut de jeune fille naïve, pour devenir une femme, une déesse puis une mère. Au fil de sa destinée, elle évolue. Elle parvient à défier son propre père, à désobéir à Athéna afin de protéger son fils. Nous sommes loin de l’image de l’enfant indisciplinée et de la sorcière infâme que nous trouvons bien trop souvent. À travers ce roman, elle incarne la femme, entre liberté et indépendance.
Circé, un roman féministe
Avec la figure de Circé, Madeline Miller propose une profonde réflexion sur la condition de la femme au sein d’une société. Entre élan épique et prose lyrique, Circé est alors un véritable roman féministe. Circé apparaît comme une sorcière insoumise qui prend en mains son destin, qu’importent les épreuves et les obstacles qui traverseront sa route. L’image de la sorcière devient intéressante au prisme du féminisme. En effet, elle nous rappelle l’archétype de la sorcière que Mona Chollet décrit dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes.
Dès lors, la métamorphose des marins ingrats et irrespectueux en pourceaux sont une réponse, de la part de Circé, à la misogynie, au sexisme ordinaire et aux violences que la société patriarcale font aux femmes. Nous retrouvons une critique du patriarcat avec la relation entre Hélios et Circé qui ne souhaite se soumettre. De plus, l’écrivaine souligne le caractère des dieux, tantôt vaniteux, tantôt cruel et irascible. Elle offre à Circé, personnage secondaire et méconnue, une possibilité de revendiquer sa singularité et sa complexité, loin des stéréotypes de la folle sorcière qui la poursuivent. Le destin de Circé se termine sur un éloge de la vie, de sa beauté et de sa finalité.
Alors que la frontière entre fiction contemporaine et mythe antique devient poreuse, Madeline Miller nous plonge dans une nouvelle version de Circé, en remettant en question les jugements archaïques et patriciales qui entourent le personnage.