Séverine Lambour et Benoît Springer vous proposent de suivre Claude Gueux dans l’enfer des prisons du XIXesiècle. Méfiez-vous car l’ombre de la guillotine est proche dans cette adaptation du roman de Victor Hugo chez Delcourt.
Claude Gueux tiré de faits réels
Claude Gueux est au départ une charge de l’auteur des Misérables parue en 1834 contre la peine de mort et le système des prisons qui broient les êtres plutôt que de leur permettre de se réinsérer. Hugo s’est inspiré de faits réels pour décrire le destin tragique de Claude. Cet honnête ouvrier poussé par la misère a dû voler du pain pour nourrir sa famille. Ne bénéficiant d’aucun soutien, il est donc condamné à la prison. Dans les géôles de Clairvaux, Claude se soumet à la moindre règle. De plus, en raison de la douceur de son caractère, il se fait respecter par les autres détenus et se lie avec l’un d’entre eux, Albin. Mais le directeur ne compte pas laisser ces deux hommes avoir une influence et les sépare. Pour survivre, il faut avoir une aide extérieure qui fait venir de la nourriture. Claude reste toujours digne alors que le directeur abuse de son pouvoir pour maintenir un contrôle absolu sur les hommes. Le scénario restitue très bien cette opposition entre une élite impitoyable et une masse de victimes toujours solidaires. On peut y voir une critique du système carcéral mais aussi une dénonciation de la monarchie et une ode au peuple. Tel un mythe antique, la tension monte lentement mais inexorablement jusqu’au drame final qui vous déchire le cœur.
Une plongée dans le passé
Les premières pages montrent bien la misère de l’époque en faisant l’économie des dialogues. Pendant que Paris frisonne sous la neige, Claude n’a plus rien à manger, sa femme couturière ne trouve aucune tâche et leur fille unique a froid. Son père va les aider à survivre un temps mais le drame les rattrape tous. Claude Gueux ne cherche même pas à fuir les policiers qui frappent à la porte à peine le vol commis. L’ambiance lourde est posée dès la superbe couverture partagée en deux entre la puissance du système carcéral incarné par le directeur de la prison de Clairveaux en haut et l’effondrement d’un homme simple, Claude. Le dessinateur Benoît Springer restitue bien les particularités des prisons à l’époque – des vastes cellules collectives dans un ancien monastère – et nous fait vivre, au milieu des détenus, une vie difficile : aucune toilette, des repas insuffisants et monotones. Par la répétition subtile d’une case identique sur plusieurs pages mais avec des couleurs différente, l’artiste montre la monotonie et le passage des saisons. Son trait moderne allie la précision des corps et des décors avec une très puissante expressivité des visages. Le grand format du livre rend d’ailleurs justice à ces grandes cases pleines d’humanité.
Une charge toujours actuelle
Bien entendu, on peut penser que cette époque est révolue mais l’actualité a montré que des gens sont toujours poussés au vol par la faim. Les prisonniers ont aussi un uniforme. Comme aujourd’hui, ils sont réduits à l’état de robots silencieux ce que montre très bien les dialogues peu nombreux avec un vocabulaire très réduit. Séverine Lambour fait d’ailleurs le choix très judicieux du non-dit. Il n’y a pas de récitatif et elle coupe une grande partie du texte d’Hugo pour ne garder que des dialogues percutants ou laisser s’installer l’ambiance. L’inégalité sociale et la solidarité des exclus sont encore le drame et le salut de notre époque. L’amitié entre les détenus nous semble presque une histoire d’amour empêchée.
Claude Gueux est une magnifique adaptation du texte de Victor Hugo. Par le choix très audacieux de ne pas reprendre le texte d’origine, le récit est encore plus lourd et sans pitié. Le dessin juste et splendidement expressif rend les protagonistes du drame terriblement humains. Vous ne resterez pas insensible au texte dans la dernière case et une fois cette bd terminée, il est fort probable que vous courrez chercher le roman d’Hugo pour vérifier si les mots sont aussi forts que ces images.
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