Dépassez le romantisme en découvrant la nouvelle bd de Thomas Cadène et Loïc Sécheresse. Dans La Guerre chez Delcourt, l’amour fait mal… mais surtout aux autres.
Un accident qui change tout
De nuit et sous la pluie, Alice sort affolée d’une voiture. Son compagnon Alexandre tente de la raisonner mais elle n’entend pas et provoque un accident ne voyant pas une voiture arrivant en face. Alexandre ne trouve aucun survivant mais Alice le convainc de ne pas appeler la police. Ce choix déterminera le reste de la vie de chacun et de leur couple. Sans transition, on se retrouve en plein été dans un mariage de la grande bourgeoisie. En effet, tout semble oublié et les deux amoureux réalisent le projet de leur classe navigant entre vie de famille et carrière professionnelle réussie. Mais, derrière la façade du couple parfait et puissant, la réalité est tout autre. Lors de leur voyage de noces dans un pays tropical, pendant que le mari profite de la plage, elle s’encanaille avec des locaux. C’est le point de départ d’un éloignement progressif. Elle s’éloigne de lui devenant méprisante alors qu’il voudrait être proche d’elle et revenir en arrière. Revenue à Paris, Alice ne cesse de se rappeler l’accident et n’arrive pas à vivre une vie « normale ». Elle couche avec des arabes et des noirs rencontrés dans la rue. Croyant vivre dans la transgression, sa vision du monde est caricaturale car elle est convaincue que son amant arabe vend de la drogue. Pendant ce temps, Alexandre boit et insulte les autres dévoilant une arrogance sans limite. Les deux partent à la dérive et plongent vers le mal. On pense à l’existentialisme ou à la littérature de l’absurde par ce couple de riches désœuvrés qui cherche un but à leur vie en faisant fi de la morale.
La guerre dans le noir
La guerre dénonce cette violence sociale des puissants. Au mariage, les invités ne parlent que d’investissement, d’impôt et de travaux pharaoniques. L’accident a dévoilé à Alexandre et Alice le plaisir de faire souffrir et l’impunité dont profite la classe bourgeoise. Confortés par cette puissance, le duo peut entrer en guerre contre la vie dans tous les domaines y compris en luttant entre eux. Les deux anti-héros ont un rapport différent à leur classe d’origine Pour Alexandre, la bourgeoisie est un allié pour aller plus haut et réaliser leur rêve mais que faire quand Alice ne rêve plus ? En effet, son épouse voit son groupe comme un monde mort qui pourtant l’enferme alors qu’elle a un intense désir de vivre. C’est pour cela qu’elle trompe son mari en dehors de sa classe. On peut cependant trouver que les auteurs ont un regard douteux sur les corps des personnes racisées. Ils servent de contrepoint par leur douceur à l’inhumain couple débordant de privilèges mais ils ne sont parfois qu’un objet de désir.
Cette marche vers le mal est illustrée par la noirceur des images. Le dessin de Loïc Sécheresse est très charbonneux. Son encrage à l’encre de Chine très présent rend le livre vibrant par son côté manuel. On trouve certes au fil des pages des aplats de couleur avec souvent une même teinte par page mais cette colorisation disparaît derrière ce noir dominant.
La Guerre démontre comment des pulsions de vie se métamorphosent en un désir irrépressible de mort. La lutte des classes devient alors un conflit intime n’épargnant personne même si ce récit de sang et de sueur manque parfois d’incarnation.
Vous pouvez retrouver d’autres récits sur la violence du monde dans les chroniques sur Gun Crazy et Love Kills.