Le Parfum sous titré Histoire d’un meurtrier est le premier roman de l’écrivain allemand Patrick Süskind, publié en 1985. Véritable succès dès sa parution, Le Parfum fait partie de ces livres inclassables tant il est singulier. En effet, le livre est une véritable ode à l’odorat plongeant le lecteur dans un voyage olfactif inédit. Le roman a été depuis adapté au cinéma par Tom Tykwer, en 2006. Puis, en 2018, nous retrouvons sur la plateforme Netflix, Le Parfum, une série allemande en six épisodes qui s’inspire librement de l’histoire pour la transposer au XXIe siècle.
Au cœur du XVIIIe siècle
L’histoire commence à Paris dans le cimetière des Innocents, le 17 juillet 1738. Ce jour-là, dans ce lieu qui faisait office de marché, Jean-Baptiste Grenouille, le protagoniste du roman, naît, entre deux étals de produits frais, dans une profonde précarité. C’est à travers ce personnage que Patrick Süskind nous livre une peinture vivante de la société française du XVIIIe siècle, dans une France pré-révolutionnaire. L’auteur nous décrit minutieusement les conditions de vie de l’époque, entre les différents métiers, les rapports sociaux, les croyances et superstitions populaires et la philosophie des Lumières présente parmi l’élite intellectuelle.
Dès les premières pages, la population parisienne apparaît comme violente et sale. L’auteur parvient à retranscrire avec précision les odeurs nauséabondes qui émanent des personnes, entre odeurs de sueurs, odeurs liées au travail, à l’environnement, au sexe. Après avoir connu un Paris pauvre et aux conditions d’hygiène déplorable, Jean-Baptiste Grenouille nous amène en Auvergne, à Montpellier, à Grasse et enfin à nouveau à Paris. Son voyage nous permet de découvrir différents paysages français nous livrant ainsi ce que c’était de vivre sur les routes au XVIIIe siècle.
Le portrait d’un personnage à la fois sombre et fascinant
Le Parfum retrace la vie de Jean-Baptiste Grenouille, de sa naissance jusqu’à sa mort. Il est un être tout à fait singulier par sa laideur, par son absence d’odeur corporel et par son odorat hors du commun. Au premier jour de son existence, il perçoit et découvre le monde avec son nez. Possédant une excellente mémoire olfactive, il se souvient avec exactitude toutes les odeurs qu’il a senties au fil de sa vie, même les plus imperceptibles. Composant alors un véritable répertoire mental, il est également capable d’assembler les parfums et de les décortiquer en segments d’arôme.
Si, d’emblée, le personnage apparaît comme un héros grâce à son don unique et exceptionnel qui fascine, il est également un anti-héros. Ambivalent, il est décrit comme « un des personnages les plus géniaux et les plus abominables de cette époque », un être dont le « génie et l’unique ambition se bornèrent à un domaine qui ne laisse point de traces dans l’histoire : au royaume évanescent des odeurs ». Cette ambivalence est également mise en lumière par son nez hors du commun et son absence d’odeur. Dépourvu d’émotions et de toute notion de bien et de mal, il ne vit que pour sa quête de créer l’essence de parfum la plus parfaite au monde : un parfum envoûtant. Cette quête le conduit à commettre une série de meurtres, dans une vie rythmée par la violence et l’incertitude.
Un monde baigné d’odeurs comme unique réalité
Tout au long de son enfance, il ne connaît que des rejets. D’abord celui de sa mère. Enfant non désiré, il est abandonné sur son lieu de naissance. Dans un tas de déchets, il est sauvé in extremis grâce à ses cris. Pour ce premier rejet, sa mère en paiera le prix ultime : celui de sa vie. Une décapitation pour infanticide. Il est alors recueilli par une nourrice, pour être ensuite rejeté. Puis, par un moine. Plus tard, par une femme qui l’avait recueilli chez elle contre de l’argent. Mais, à chaque fois, le même refrain. Il finit toujours par être abandonné. Pour son manque d’odeur, sa façon étrange de sentir les gens, son apparence repoussante et son vif appétit. Après le rejet des nourrices, vient le rejet des maîtres d’apprentissage. C’est donc en marge de la société que Jean-Baptiste Grenouille passe son enfance.
À l’instar d’une tique, le petit Jean-Baptiste, résistant à toutes les maladies, a décidé de s’accrocher à la vie, patiemment et indéfiniment. Progressivement, il commence à prendre conscience des odeurs qui l’entourent. D’abord, chez un tanneur en apprentissage, il découvre les odeurs les plus nauséabondes, avec grand intérêt. Puis, il se met à flâner dans les ruelles de Paris, pour décomposer toutes les odeurs de la capitale jusqu’à les connaître entièrement. C’est alors tout un monde baigné d’odeurs qui s’offre à lui, des odeurs comme étant son seul lien avec la réalité du monde. En effet, sans son odorat exceptionnel – sa seule jouissance – l’existence de Jean-Baptiste Grenouille n’aurait aucun sens. Il ne serait rien.
À la recherche de l’essence pure : une quête identitaire
Le soir du 1er septembre 1753, un événement vient troubler le cour de son insignifiante existence. Il croise le chemin d’une jeune fille rousse, dans la rue des Marais, dont l’odeur indicible trouble le petit Jean-Baptiste. Pour la première fois de sa vie, il ressent une violente émotion. Commence alors sa quête. Voulant posséder à l’infini ce parfum divin, il tue la jeune fille. Dès lors, il trouve un sens à sa vie : « connaître le secret pour pouvoir conserver les odeurs. » Ainsi, il commence un apprentissage chez un maître parfumeur et s’intéresse particulièrement aux techniques de distillation (pour s’emparer de l’odeur des fleurs par exemple) et de l’enfleurage. À la suite de ses trois années d’apprentissage, il entame un voyage initiatique vers Grasse, capitale du parfum.
Sur le chemin, il fait une découverte déroutante : il ne supporte pas l’odeur des hommes. Ce qui le conduit à s’isoler du reste du monde, dans une grotte d’un volcan d’Auvergne. Il y restera pendant sept ans. Seul et déconnecté de la réalité, il se crée son propre royaume d’odeurs, repensant continuellement au parfum de la jeune fille rousse. Une nuit, en rêvant de sa propre odeur, il s’aperçoit qu’il n’en a pas. Ce terrible constat l’amène à quitter la grotte à la recherche de son identité. Pas d’odeur, pas d’identité.
Il se crée alors un parfum pour avoir une odeur humaine, lui permettant d’exister. Sa réflexion va bien au-delà puisque pour lui, celui qui « [maîtrise] les odeurs, [maîtrise] le cœur des hommes ». Toujours poussé par son obsession pathologique, il cherche à réaliser un parfum capable de dominer les autres. À Grasse, il s’intègre au sein de la société en acquérant un statut social important : celui d’un parfumeur prestigieux, reconnu pour son génie.
Le parfum absolu face à la mort
L’arrivée de Jean-Baptiste Grenouille dans la ville, amène une série de meurtres avec le même modus operandi. Toute la ville tombe dans un état de psychose. Ce n’est pas moins de vingt-quatre jeunes filles vierges que le parfumeur tue afin de s’en approprier leur odeur. Mais son dernier crime – le vingt-cinquième – est celui de trop, qui le conduit directement à la peine capitale. Il parvient néanmoins à y échapper grâce à son parfum : le parfum absolu. Enivrée par les efflux, la foule voit en lui, l’incarnation d’un être pur et innocent, comme un ange tombé du ciel. Après l’avoir gracié, la foule se transforme en une véritable scène orgiaque, permettant au condamné de fuir sa sentence. Il quitte Grasse pour retourner à Paris. Désormais, sa quête est achevée. Il est parvenu à créer une essence « apothéotique ».
Néanmoins, ayant accompli une destinée quasiment divine, il ne trouve plus de sens à sa vie et préfère quitter ce monde. Ainsi, il retourne à son lieu de naissance et s’asperge de cet effluve absolu. Les criminels et les prostituées qui errent dans ce lieu comme des âmes déchues, voit en lui l’incarnation d’un ange. C’est ainsi que l’existence de Jean-Baptiste Grenouille se termine. Dépecé dans l’endroit le plus puant de Paris, un 25 juin 1767, à vingt-huit ans.
Un roman singulier aux inspirations multiples
Patrick Süskind s’est probablement inspiré de l’essai Le Miasme et la Jonquille de l’historien Alain Corbin, publié en 1982. Il s’agit d’un essai sur la perception des odeurs du milieu du XVIIIe à la fin du XIXe siècle. Nous retrouvons également une similitude avec le parfumeur Jean Marie Farina, obsédé par les senteurs, à l’instar de notre personnage, ou encore avec le parfumeur français Paul Grenouille, qui changea son nom en Grenoville à l’ouverture de sa maison de parfum de luxe en 1879. Mais l’histoire de Jean-Baptiste Grenouille trouve un véritable écho à l’histoire vraie du tueur en série espagnol Manuel Blanco Romasanta (1809 – 1863), plus connu sous le nom du « Loup-Garou d’Allariz ». Il tua plusieurs femmes et enfants afin d’extraire de leur corps, la graisse pour la transformer en savon. Vague ressemblance…
Au carrefour de nombreuses inspirations, Patrick Süskind nous livre avec virtuosité un roman novateur et sans précédent, un roman qui peint des paysages olfactifs : entre odeurs nauséabondes et odeurs florales. Page après page, les odeurs sont omniprésentes, poussées à leur paroxysme. L’auteur nous plonge dans un voyage que nous, lecteurs, n’avons pas l’habitude d’emprunter, à la fois macabre et poétique. Bien plus qu’une histoire sur les parfums, il nous propose une réflexion sur la condition humaine dans une société française pré-révolutionnaire. Mais, au-delà d’un roman historique, Le Parfum apparaît à la fois comme un conte philosophique et un roman policier avec pour personnage principal, un tueur sociopathe pris dans une quête mystique. Inversant le système de valeurs, il met en lumière un monde où l’animalité domine sur la raison. Ainsi, Jean-Baptiste Grenouille, véritable monstre, achève son existence avec le statut d’ange et de divinité.