Critique « Le Serpent » : un thriller venimeux et addictif

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Jenna Coleman (Marie-Andrée Leclerc) & Tahar Rahim (Charles Sobhraj)

Co-production BBC One et Netflix, la mini-série Le Serpent narre le périple meurtrier de Charles Sobhraj. Brillamment campé par Tahar Rahim, le criminel sévissait sur le continent asiatique durant les années 1970. Une série glaçante basée sur des faits réels, déjà forte de son succès sur les écrans britanniques. On lui trouverait même une ambiance à la sauce Narcos

Qui dit faits réels, dit modifications de l’histoire originale. Pour les besoins du scénario comme par respect pour les familles des victimes, Le Serpent ne se calque pas toujours sur la vérité, mais retranscrit avec brio cette sombre histoire.

À l’évidence, Charles Sobhraj se retrouve au centre de l’intrigue. Se faisant souvent appeler Alain Gauthier, le tueur en série passe facilement d’une identité à l’autre. Il se dit négociant en pierre précieuses. Avec son alliée et compagne, Marie-Andrée Leclerc – alias Monique – ils donnent l’illusion d’être des protecteurs pour les jeunes européens voyageurs, dont ils gagnent aisément la confiance. Leur bienveillance n’est pourtant qu’un masque pour mieux voler et empoisonner leurs proies. Souvent, ils sont aidés de l’homme de main de Charles, Ajay (Amesh Edireweera).

En parallèle, d’anciennes fréquentations de Sobhraj ainsi qu’un jeune diplomate néerlandais, Herman Knippenberg (Billy Howle), mènent l’enquête pour le faire tomber, suite à la découverte des cadavres d’un couple de néerlandais… Le Serpent nous entraîne alors dans une investigation passionnante mais sinistre.

Marie-Andrée Leclerc & Charles Sobhraj
Marie-Andrée Leclerc & Charles Sobhraj

Une histoire vraie

En huit épisodes d’environ une heure chacun, Le Serpent nous plonge dans les épouvantables crimes de Sobhraj. Ce qui rend cette mini-série d’autant plus glaçante, c’est que ses agissements sont réels.

Issu de l’union d’une mère vietnamienne et d’un père indien, Charles Sobhraj est né en 1944 à Saïgon. Ses parents se séparent quand il a 3 ans, et l’enfant reste au Vietnam avec son père, où il passe une partie de son enfance, vagabondant dans les rues. Plus tard, sa mère le ramène en France où il obtient la nationalité française.

Rapidement, il plonge dans la délinquance, commettant plusieurs vols. À 19 ans, il écope de trois ans de prison. À sa sortie, il rencontre une française qu’il épouse, et avec qui il s’enfuit pour l’Inde pour échapper à une nouvelle condamnation. La vie de Sobhraj est ainsi constituée de crimes en tous genres, et de fuites. Il n’a de cesse d’éviter la justice.

Le Serpent se concentre cependant sur la période suivante de sa vie, débutant par sa rencontre avec la québécoise Marie-Andrée Leclerc. Celle-ci devient sa complice à compter du moment où elle le rejoint en Thaïlande. Sobhraj s’appuie également sur son acolyte Ajay Chowdhury, qui jouera également un rôle majeur dans la perpétration de ses crimes.

Dotés d’un mode opératoire bien ficelé, le couple et Ajay parviennent à prendre dans leurs filets de nombreux individus – souvent des touristes européens. Ils prétendent exercer dans le commerce de bijoux et de pierres précieuses, et accueillent leurs victimes chez eux à Kanit House, située à Bangkok. Séduits par le charisme magnétique du couple, ces touristes ne décèlent pas la supercherie. Après les avoir drogués, Sobhraj et ses alliés en profitent pour dérober leurs biens, papiers et passeports. Bien vite, ils ne se contentent plus de droguer et de voler leurs victimes, et commettent des meurtres effroyables.

Jenna Coleman (Marie-Andrée Leclerc) & Tahar Rahim (Charles Sobhraj)
Jenna Coleman (Marie-Andrée Leclerc) & Tahar Rahim (Charles Sobhraj)

Une habile construction narrative

Le Serpent s’ouvre par une scène où Sobhraj, en 1997, donne une interview à des journalistes américains. Dès le début, on perçoit son aura, sa faculté à éviter les questions de la même manière qu’il échappait à la justice au fil de ses crimes. Avec une certaine insolence, Sobhraj dit ne plus pouvoir être jugé, vivant en homme libre à Paris à cette époque.

Avec une telle scène, on pourrait croire que le criminel vit en toute impunité. Rapidement, la série nous plonge dans les années 1970. Et l’immersion est totale. Look hippie, envies de découvertes et d’ailleurs, et esprit de libération des moeurs, tous les ingrédients sont réunis, jusqu’au Cactus de Dutronc. Les idéaux de l’époque finissent par se mêler à l’horreur des crimes de Sobhraj.

Lunettes rondes et chemise entrouverte, Sobhraj traverse la fête qu’il donne à Kanit House, à la manière d’un homme qui obtient tout ce qu’il désire. Mais, derrière la porte fermée d’un des appartements de la résidence, il drogue un homme avec l’aide de sa compagne. Constamment, on oscille entre la lumière de ce couple auquel tout semble réussir, et les ténèbres de crimes à glacer le sang.

Retranscrire une telle histoire, c’est un pari risqué, mais bel et bien relevé par les scénaristes. Les crimes de Sobhraj se croisent avec l’enquête menée par Herman Knippenberg, et au fil des épisodes, l’histoire se construit tel un puzzle qui prend forme après plusieurs heures de constructions. De plus, le jeu sur les différentes temporalités décuple le suspense – entre autres sur le sort des victimes.

Tahar Rahim (Charles Sobhraj)
Tahar Rahim (Charles Sobhraj)

Métamorphose totale pour Tahar Rahim

Acteur césarisé pour Un prophète, de Jacques Audiard, Tahar Rahim incarne brillamment le redoutable Charles Sobhraj. Convaincant, il jongle entre les nombreux visages de son personnage. Tantôt bienfaiteur, tantôt diabolique, Tahar Rahim est impressionnant dans son interprétation, si bien qu’on pourrait aussi, en tant que spectateur, tomber dans les filets du criminel au charisme qu’on ne peut pas lui nier. Tout cela, l’acteur français le retranscrit à la perfection, sans jamais tomber dans la caricature du criminel sans foi ni loi. Hypnotique, l’acteur est un des atouts majeurs de cette production.

À ses côtés, Jenna Coleman (Dr. Who, Victoria), qui brille de la même manière que dans la mini-série The Cry. Prise dans les filets de Sobhraj, par amour, tantôt elle le suit dans ses crimes, tantôt elle ferme les yeux. À sa demande, elle change plusieurs fois d’identité. Perdue entre celle qu’elle était – Marie-Andrée -, et celle que Sobhraj a fait d’elle – Monique. « Marie est terrifiée mais Monique doit rester calme« , dit-elle. Alors, on se questionne sur notre perception du personnage. Que faire ? Avoir pitié d’elle ? Ou la condamner au même titre que son compagnon ? Seul bémol, l’accent québécois quasiment inexistant.

Aujourd’hui, Sobhraj, désormais âgé de 77 ans, purge toujours sa peine au Népal. Marie-Andrée Leclerc est quant à elle décédée d’un cancer en 1984. Une série addictive, psychologique, que les passionnés de crimes comme les curieux dévoreront avec engouement.