Fuji, pays de neige, l’estampe sort de sa réserve

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2030

Connaissez-vous le secret de l’Immortalité ? Probablement que non, surtout si vous avez manqué l’une des plus belles expositions de l’année 2020. Il ne vous reste que la lecture de cet article pour vous imprégner de la beauté des estampes japonaises qui datent de l’ère d’Edo (période qui va de 1603 jusqu’ au milieu du 19ème siècle) à nos jours. 

70 estampes, choisies sur un fond riche de 11 000 pièces, stockées dans les réserves du Musée des Arts Asiatiques Guimet, représentent le mont Fuji, classé en 2013 au patrimoine mondial de l’Unesco. Le volcan est une montagne sacrée depuis le 7ème siècle. Haut de ses 3 376 mètres, son sommet enneigé garde l’élixir d’immortalité.  

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Le pont Taiko et la colline Yuhi à Meguro
Série des Cent vues célèbres d’Edo
UTAGAWA Hiroshige (1797-1858)
Ère d’Edo, 1857
Estampe nishiki-e
MNAAG, legs Isaac de Camondo, 1911,
EO1842
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Harry
Bréjat

L’exposition, qui arrête le temps

Le nom de l’exposition est une référence au titre du roman de KAWABATA Yasunari (1899-1972), prix Nobel de littérature en 1968. Il y écrit « Ici (…), c’était le défilé constant du même paysage montagnard, complètement éteint (…) et privé de toute couleur. » Yasunari KAWABATA, Pays de neige  

“Traduire la neige est chose ardue, mais ce sera une des grandes réussites de l’estampe, de la période d’Edo jusqu’à nos jours (…). Ces estampes sont autant d’images sentimentales. Les œuvres nous laissent un sentiment de forte mélancolie et sont sans doute, (…) parmi les images les plus saisissantes de la fugacité et de la fragilité de la neige, pareille au sentiment amoureux. “ nous explique Sophie Makariou Présidente du Musée National des Arts Asiatiques Guimet 

Image Musée Guimet
Felice BEATO (1832-1909)
Ère d’Edo, 1864-1866
Épreuve sur papier albuminé
MNAAG, collection Joseph Dubois, achat
2007-2009, AP16390
© MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais /
image musée Guimet

Qu’est-ce  qu’une estampe?

L’estampe est une image – réalisée à partir d’une planche en bois. L’artiste réalise un dessin-maître à l’encre. Ensuite, Le dessin est collé sur une planche en bois. Toutes les zones sont creusées pour que, seules, les lignes noires, qui correspondent aux contours du motif, apparaissent en relief. La planche que l’on appelle à ce stade “la planche de trait” est encrée. Puis, on imprime l’image obtenue. On colle  ensuite cette image sur une nouvelle planche de bois. Cette fois-ci, les contours sont creusés pour que les zones colorées apparaissent en relief. La nouvelle planche que l’on appelle « planche de couleurs » est ancrée. Pour ce faire on place une feuille sur la « planche de couleurs » et on l’imprègne par le revers de la couleur souhaitée. Le parfait ajustement des lignes noires et des zones colorées requiert une grande minutie. Une impression de grande qualité s’apprécie à la coïncidence parfaite des lignes noires et des couleurs les remplissant, à la subtilité de la mise en couleurs et à la présence, à l’impression, du fil du bois.

Pour obtenir la saturation souhaitée de certaines couleurs l’épreuve peut être appliquée plusieurs fois sur la même  planche de couleur . Celui qui procède au passage des couleurs travaille donc toujours par l’envers. 

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Montagnes et rivières sur la route de Kiso.
Série Neige, lune, fleurs
UTAGAWA Hiroshige (1797-1858)
Ère d’Edo, 1857
Estampe nishiki-e
MNAAG, legs Raymond Koechlin, 1932, EO3283
© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Harry
Bréjat
Mont Fuji

La représentation de la neige dans les estampes japonaises

 Au Japon, une des plus grandes réussites de l’estampe de paysage est la traduction de la neige. Régnant sur la composition, elle rejette souvent dans les marges le « sujet » principal. Le procédé sera d’ailleurs repris par les peintres impressionnistes, grands connaisseurs de l’estampe, et en premier lieu par Claude Monet. Sur les estampes japonaises le plus souvent la neige ne scintille pas, elle absorbe les bruits, elle endort le paysage.

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Hokusai Katsushika (1760-1849). Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. MA8149.

Les artistes, tel UTAGAWA Hiroshige (1797-1858), laissent le blanc du papier intact, « en réserve ». Parfois ils rehaussent le blanc de paillettes de mica et font gaufrer des zones choisies avec une planche non encrée, ajoutant au raffinement d’un traitement minimaliste. Chantres du blanc sur blanc, les grands maîtres de l’estampe ont inventé des procédés formels d’une grande modernité, faisant, de génération en génération, des citations des maîtres antérieurs. Aussi est-il intéressant de considérer Hiroshige dans l’œil de Kiyochika, et Kiyochika dans l’œil de Hasui.

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Hiroshige Utagawa (1797-1858). Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. EO204.

La fusion de l’estampe japonaise et de l’aquarelle

L’évolution de la technique et l’obsession des peintres japonais à figurer la neige a eu un impact déterminant sur l’Art. Les artistes japonais ont révolutionné la peinture, et ce, de manière irréversible. À force d’impression, tel peintre parvient à créer des teintes nouvelles. En combinant les techniques (en relief, en creux, réserve), l’artiste apporte de la texture, de la nuance, de l’effacement de couleurs, voire de l’étouffement La neige se pare d’un réalisme bluffant chez KOBAYASHI Kiyochika (1847-1915) ou chez UTAGAWA Hiroshige (1797-1858).

Les compositions accentuent les contrastes entre l’immobilité des paysages et le mouvement, comme l’illustre si bien Les champs de Susaki à Fukagawa d’ UTAGAWA Hiroshige, où on voit un aigle déployer ses ailes sur toute la partie supérieure de l’oeuvre, il semble plonger vers les larges étendues silencieuses. Souvent la majesté du volcan Fuji fait face à la petitesse de personnages au premier plan. L’hostilité du froid se dresse contre l’effort des travailleurs. Le dépouillement des scènes, la stylisation progressive du volcan font surgir une émotion intemporelle universelle. L’estampe se rapproche de l’aquarelle, les contours s’effacent.

 

Vent frais par matin clair
Hokusai Katsushika (1760-1849). Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques. EO3288.