Test « Erica » (Sony) : bon film, mauvais jeu ?

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Le genre « film interactif » est probablement le genre le plus boudé dans le monde du jeu vidéo. A quoi cela sert-il de jouer si ce n’est que pour regarder ? Pourtant, le genre accumule les nouvelles œuvres et trouve de plus en plus son public. Erica, disponible en exclusivité sur le Playstation Store, semble faire partir d’eux. Est-ce alors un bon jeu ? Réponse dans ces lignes.  

Erica est une jeune fille qui a connu de nombreux traumatismes, dont la mort brutale de son père tué par un tueur psychopathe alors qu’elle était petite. Recevant un colis mystérieux contenant un médaillon porteur d’un symbole qui la replongera dans ses angoisses, la jeune fille va accepter d’être placée au Manoir Delphes, un étrange établissement psychiatrique pendant que l’affaire avance à petit feu. Mais rien ne se passera comme prévu… Une histoire que l’on pourrait déjà avoir vu plusieurs fois au cinéma, mais qui a le mérite de proposer cette fois le point de vue d’une jeune fille. Ne boudons pas notre plaisir…

Test "Erica" (Sony)

Une oeuvre cinématographique avant tout !

Lorsque l’on mentionne « enquête » et « psychiatrie », il est impossible de ne pas faire référence à Shutter Island, l’œuvre littéraire de Dennis Lehane adaptée par Martin Scorsese et dont Erica semble en être bien inspiré. Pourtant, la réalisation d’Erica semble agir comme une réponse directe à Black Mirror : Bandersnatch qui a amené le thriller interactif pour la première fois sur la plateforme Netflix. Car ce qui différencie Erica des autres films interactifs, c’est sa mise en scène : il s’agit véritablement d’un film pour le cinéma ! Erica est donc un Full Motion Video, ce genre du jeu vidéo qui est sévèrement critiqué pour son mauvais jeu d’acteurs et ses scénarios alambiqués. Rares sont ceux qui ont réussi à l’instar de Phantasmagoria et The Bunker à instaurer une vraie ambiance malgré leurs défauts. Le « jeu » de Flavourworks fait heureusement partie d’eux !

Tout l’intérêt du jeu repose sur son ambiance qui alterne les séquences cauchemardesques et les phases d’enquête. Pour faire simple, la réalisation du jeu est très réussie ! Les acteurs sont très convaincants, surtout Holly Earl dans le rôle titre. La colorimétrie, le montage et les cadrages sont très soignés, renforçant plus cette tension permanente et ce sentiment de danger omniprésent pour la jeune fille. L’ambiance est alors un véritable coup de maître dans cet établissement constitué entres autres de jeunes femmes. Quand on découvre le jeu, l’ombre de Suspiria de Dario Argento semble planer.

Ecrire cependant que le scénario d’Erica frôle le chef-d’œuvre ne serait qu’utopie. Tout cela n’est pas très original aussi. Nonobstant, le récit est bien ficelé et promet une expérience très convaincante au joueur. Nous sommes vraiment dans le scénario d’un film dans la moindre de ses structures. La découverte du personnage principal, la présentation des protagonistes puis l’arrivée du lieu emblématique comme un voyage initiatique vers la démence et le surnaturel.

Test "Erica" (Sony)

Qu’en est-il alors du Gameplay ?

Erica est-il alors parfait ? Pas vraiment car il oublie finalement ce qu’il est avant tout : un jeu vidéo. En se proposant dans le catalogue des jeux Play Link de la PS4, Erica appauvrit complètement son gameplay. Ainsi à l’image de Hidden Agenda de Supermassive Games, le jeu se joue intégralement au téléphone portable avec l’application proposé par Sony. Pour ceux qui n’en posséderait pas, il peut toujours se jouer à la manette mais uniquement en utilisant le pavé tactile. Le manque d’utiliser toutes les possibilités de la manette se fait cruellement ressentir. On fait glisser son doigt pour nettoyer un objet, ouvrir une boîte ou pour interagir avec un personnage. Certaines de ces interactions finissent même par ralentir le rythme du jeu, la faute à la sensibilité d’un écran tactile.

Il est vrai que le film interactif a toujours été l’objet de débat autour de sa jouabilité très limitée. Pourtant, beaucoup de jeux en proposaient quand même un petit peu pour rappeler qu’il s’agit d’un jeu vidéo avant tout. Hidden Agenda ne laissait jamais de temps mort et forçait à réfléchir et choisir en même temps, sans comprendre tout de suite les conséquences. Late Shift fonctionnait sur un système de choix rappelant les questions à choix multiples qui ne ralentissait jamais le jeu.

Le Manoir Delphes pousse tellement à l’exploration tant son ambiance est délicieusement malsaine qu’on en est très vite frustré. Ni d’énigmes, ni de collectibles, ni d’explorations pour renforcer l’histoire du lieu alors que l’on a très envie d’y replonger. Malheureusement Erica doit se vivre d’une traite. Une à deux heures de jeu suffisent à en voir le bout. Et n’espérez pas modifier un de vos choix. Si vous quittez le jeu, vous reprendrez immédiatement à la seconde où vous avez stoppé !

Test "Erica" (Sony)

Une fois mais pas deux ?

C’est justement ce qui est assez paradoxal dans l’oeuvre de Flavourworks : se vivre d’une traite alors que l’intrigue ne livre tous ses secrets qu’en plusieurs parties. Pour vous expliquer, le jeu vous propose parfois de choisir des séquences dans lesquelles vous allez passer du temps avec des patientes de l’établissement. Vous ne pourrez pas connaître toute la subtilité des autres personnages ni répondre à certaines questions autour du Manoir Delphes si vous ne faites qu’un seul parcours. On regrette alors qu’il n’y ait aucune sélection de chapitres.

Autre détail : tout s’enchaîne tellement vite que le jeu s’engouffre dans quelques facilités scénaristiques et n’évite pas certains clichés. Les situations semblent alors téléphonées et peuvent s’avérer assez incohérentes. Surtout que l’on est obligé de subir certains événements de l’histoire sans vraiment savoir comment puisque le parcours choisi ne nous a rien raconté. Par exemple, un personnage devient plus ou moins sympa avec vous au fur et à mesure de l’histoire. Mais comment s’attacher à lui si on ne l’a pas vraiment exploité ?

Test "Erica" (Sony)

Erica se vit uniquement lors de votre première et votre dernière partie. La première pour la découverte et la seconde pour la finalité ! Les autres parties alimentant les pièces du puzzle peuvent vite devenir ennuyeuses… Bien évidemment, libre à vous de replonger dans l’enquête une seconde fois.

Le vrai problème du jeu est qu’il oublie d’être un jeu vidéo. Avec son gameplay limité, le charme du jeu repose sur son ambiance, son histoire et sa réalisation très propre. Tout n’est donc pas à jeter. Erica saura sûrement attirer les cinéphiles et les amateurs de cinéma mais fera fuir les vrais gamers. Pourquoi ne pas l’avoir proposé en streaming à la manière de Black Mirror ? Ne boudons pas notre plaisir surtout pour le prix d’une place de cinéma. On lui souhaite néanmoins de trouver le succès.

Bande-annonce : Erica