On pensait ne jamais voir le dernier film d’Orson Welles, très longtemps tourné et écrit, mais non achevé à la mort du réalisateur : The Other Side of the Wind est finalement enfin « terminé » si l’on peut dire, non pas par Welles mais par Netflix. Montage retravaillé à partir des rushs et des scènes déjà tournées du film, les différentes images, comme de multiples mises en abyme, forment un tout hétérogène et à vrai dire assez compliqué à appréhender.
C’était le film inachevé, celui que tous les admirateurs du réalisateur de Citizen Kane n’attendaient même plus ; et pourtant trente-trois ans après la mort d’Orson Welles, voici que Netflix obtient les droits de l’oeuvre et termine le montage de sa dernière oeuvre. Le scénario : la fin de Jake Hannaford (interprété par un grand ami de Welles, John Huston, et dont le nom pourrait bien faire référence au grand John Ford), un réalisateur à succès qui présente sa dernière oeuvre entre les journalistes, amis, professeurs et autres paparazzis qui affluent dans une foule vivante et parfois oppressante.
The Other Side of the Wind est réellement compliqué à appréhender voir impossible à critiquer : on ne sait où se placer entre la finition de l’oeuvre, le nouveau montage et le rythme des images, si bien que les mises en abyme s’imbriquent les unes dans les autres jusqu’à un résultat final assez confus et difficile à identifier. Welles avait lui-même pensé son film comme complexe, car tourné à la fois en 16mm, 35mm et Super 8, mais aussi en couleur ou en noir et blanc. Le film additionne l’intrigue de Jake Hannaford et les extraits de son dernier film, également intitulé The Other Side of The Wind, avec de très (trop ?) nombreuses prises de vues différentes. Même le son est très inégal, et jamais un montage aura semblé aussi fastidieux et complexe. Si le film reprend la même construction scénaristique que le chef d’oeuvre Citizen Kane, à savoir la mort du personnage principal dès la première scène puis un enchaînement de séquences qui montrent des bribes de sa vie jusqu’au moment fatal, le tout nous paraît bien plus brouillon et confus, pour un film très haché et chaotique qui pourra en refroidir plus d’un.
Pourtant, le propos de The Other Side of the Wind est passionnant : critique de l’industrie Hollywoodienne et quête de pouvoir, on ne peut s’empêcher de voir en Jake Hannaford un peu de Welles. Avec ces caméras omniprésentes, ces couleurs et ce rythme effréné, le film semble pourtant trahir le genre du réalisateur : on ne retrouve que rarement les longues et belles scènes auxquelles Welles nous a habitué, et on est loin des déclarations d’amour à l’art cinématographique, avec ses tirades et ses mises en scène devenues maintenant cultes.
La grande force du film réside dans les éléments qui en auraient fait une grande oeuvre si Welles avait pu terminer son long-métrage : le charme fou des acteurs (John Huston évidemment, mais aussi Oja Kodar, Peter Bogdanovich ou encore Susan Strasberg), le magnétisme inévitable des passages du film de Hannaford et cet appel final presque tragique d’un réalisateur qui se sent oublié.
Inévitable passage pour tout admirateur du cinéma de Welles, The Other Side of the Wind achève enfin ; et pourtant au-delà de devoir faire une critique de cette reconstitution, on ne peut s’empêcher de se demander si cette version ne « vole » pas en quelque sorte l’oeuvre finale du réalisateur, qu’il ne souhaitait peut-être jamais finir. Cet inachèvement aurait même conféré un statut d’éternité à son oeuvre, et le vent aurait pu continuer à souffler sur ce cinéma plein de promesses et d’infini.