Critique « Terra Doloris » aux éditions Glénat : un magnifique scénario

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Vous êtes-vous déjà demandé comment une terre pouvait être colonisée ? Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux y répondent par Terra Doloris publié par Glénat.

L’autre bout du monde

Après Terra Australis, voici le deuxième tome de Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux sur les débuts de la colonisation de l’Australie par les britanniques au XVIIIe siècle. L’Australie est alors un bout du monde et c’est encore un blanc sur les cartes comme le montre en introduction le géographe Brice Gruet.

La fin de l’illusion

Le récit nous en apprend énormément sur ce continent et cette période méconnue en France. En effet, on trouve des personnages différents mis en avant dans les cinq chapitres. L’Australie est alors peuplée de bagnards et d’exilés politiques– un chapitre commence par le bonheur d’un couple juste après une naissance, mais on découvre que ce sont des prisonniers. Bollée n’oublie pas les aborigènes. Il raconte la vie d’un anonyme tant que son nom n’apparaît pas dans les archives européennes. On ne voit son visage qu’avec des rapports de justice.

Une exilée aux antipodes

La colonisation a longtemps été présentée comme un espace d’aventure et d’exploration, mais pas ici. L’Australie devient le dépotoir du Royaume-Uni, un espace de relégation pour les marginaux. Un bagnard montre la réalité de l’Australie contre le discours d’un botaniste rêvant d’une nouvelle vie possible. La nouvelle colonie n’est pas l’espace d’aventure et de lutte contre les sauvages mais la continuation des rapports sociaux de domination sous un autre climat.

Un livre engagé

Bollée s’engage dans un scénario profond et utilise des techniques très diverses selon les chapitres. Par des visages sur une case ou des allusions, on retrouve les mêmes personnages d’une histoire à l’autre. L’épilogue relie les personnages des cinq chapitres dans leur triste destin en racontant la suite de leur vie. Par ces liens progressifs, une fresque des débuts de l’Australie apparaît avec parfois des personnages historiques – l’amiral Nelson, le peintre David mais surtout Thomas Muir d’Huntershill, indépendantiste écossais condamné à la déportation. Ce récit permet au lecteur de suivre son impossible retour en Écosse par des tribulations en Australie puis au Canada, au Mexique, à Cuba, en Espagne et en France. La bibliographie en anglais à la fin montre l’importance des recherches du scénariste.

Bollée s’insurge contre la cruauté de l’amirauté anglaise qui refuse de laisser les révoltés du Bounty s’en sortir. Dans ce chapitre, il mêle deux récits de naufrage dont des bagnards prêts à fuir à quinze sur un petit bateau. Ce traitement inhumain des plus faibles a des échos très contemporains.

Un rêve impossible

Une collection d’auteurs

Terra Doloris fait partie de la collection 1000 feuilles de Glénat. Dans de très luxueux volumes – un dos rond rigide et un marque-page en tissu – Glénat rassemble des BD d’auteurs au style graphique original.

Nicloux opte pour un dessin en noir et blanc à la pointe noire. Les cases ont un cadrage assez classique et cinématographique comme les premières pages où le dessin passe de l’Australie vue du ciel à la côte, puis la baie, comme une caméra aérienne. Pour ce sombre récit, on trouve beaucoup de gris, ce qui est assez original. On s’attend à un trait fin et économe pour mettre en avant le noir et blanc mais en fait, les traits sont nombreux, heurtés. On ne comprend pas le choix du noir et blanc. Cela donne un dessin réaliste mais parfois un peu anonyme et irrégulier.

Terra Doloris est donc un magnifique scénario qui donne une image totalement différente des origines européennes de l’Australie.