Il y a un mois paraissait Florida de Jean Dytar (éditions Delcourt), un livre surprenant à plus d’un titre à découvrir absolument, relatant la désastreuse épopée des colons français protestants envoyés en Amérique par Coligny pour tenter de s’implanter dans le Nouveau Monde, accaparé par l’Espagne et le Portugal.
Il y a des œuvres qui s’imposent d’elles-mêmes et qui ne souffrent aucune critique. Florida est de celles-ci. La maestria de Jean Dytar impressionne d’emblée. Auteur complet, il nous propose un récit parfaitement scénarisé, basé sur des événements historiques et illustré de très belle manière, alternant les techniques, selon qu’il évoque le passé des personnages ou leur monde contemporain. Ainsi, peut-on croiser Coligny, Sir Walter Raleigh, entrevoir Catherine de Médicis et Elisabeth d’Angleterre ou entendre les personnages évoquer Marie Stuart et Francis Drake.
L’immersion dans l’histoire est immédiate. On s’attache d’emblée au personnage d’Eléonore, femme de Jacques Le Moyne de Morgues, qui nous ouvre le passage vers le monde austère dans lequel elle évolue. Avec sa famille protestante, elle a eu la chance de s’exiler à Londres quelques années avant le massacre de la Saint-Barthélémy, date à laquelle commence le récit. Rêvant de voyages depuis sa plus tendre enfance, à l’époque où elle vivait encore à Dieppe chez son père, maître cartographe, elle a finalement dû s’effacer pour devenir l’épouse-modèle d’un apprenti de son père et entrer dans les convenances de son temps. Mais les envies d’ailleurs se manifestent à nouveau chez elle le jour où deux personnages viennent solliciter son mari pour qu’il leur raconte son périple américain, lors de la désastreuse tentative de colonisation de la Floride en 1564-65. Ce qui ne se fera pas sans peine, vu le traumatisme vécu par Le Moyne, dessinateur de génie qui depuis se contente de peindre des motifs floraux, très prisés par Marie Stuart alors en captivité.
On l’aura compris, le récit est dense et riche. Mais c’est particulièrement bien écrit et articulé par Dytar, qui a un excellent sens de la narration. On passe ainsi d’une époque à l’autre avec aisance et l’album se lit d’un trait, tant il est passionnant et permet d’apprendre de nombreux faits et événements, dont il est vrai, on parle rarement, voire jamais.
Le dessin est simple (mais jamais simpliste !) et efficace, d’une lisibilité parfaite lorsqu’on est dans le monde sépia d’Eléonore, mais beaucoup plus impressionniste lorsqu’on entre dans les souvenirs des personnages. Choix des plus judicieux qui traduit à la perfection le voile qui existe sur les souvenirs ou sur les rêves.
Si l’on ne doit formuler qu’un seul reproche à ce petit bijou de 256 pages, c’est peut-être l’absence d’une traduction des textes latins figurant au bas des illustrations de Théodore de Bry reproduites à la fin du livre (vous aurez peut-être noté que j’ai du mal à utiliser les termes « album » ou « BD » pour cette bande-dessinée). On apprécie en revanche grandement les quatre pages finales de Frank Lestringant, professeur de littérature de la Renaissance à la Sorbonne et spécialiste des voyages au Nouveau Monde, qui constituent un excellent résumé du contexte historique et des enjeux politiques de l’époque.
Florida est un livre à recommander à la fois aux amateurs de bande-dessinée, à ceux qui aiment se plonger dans de grands récits épiques, aux lecteurs assidus de romans historiques, aux passionnés d’Histoire, en particulier de l’époque moderne, et à tous ceux qui aiment se cultiver et se divertir à la fois. C’est le genre de livre qu’on achète deux fois : une fois pour soi et une autre pour offrir.