Critique S4 « Arrested Development » (Netflix) : un redécoupage historique

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La saison 4 d’Arrested Development marque un tournant dans l’histoire de la série. Alors que les 3 premières saisons ont ravi une large communauté de fans, la suite a sérieusement divisé les fidèles téléspectateurs. Mais que l’on soit déçu ou toujours sous la charme, la sitcom intrigue par son originalité. Et c’est toute une industrie qui pourrait désormais suivre son exemple.

Flashback. En 2013, Arrested Development, c’est une série télévisée qui a connu un certain succès dans les années 2000. C’est 3 saisons acclamées par la critique, 53 épisodes d’une richesse incroyable et 1210 minutes de gags à profusion. C’est des acteurs comme Jason Bateman, Portia de Rossi, Will Arnett, Michael Cera et David Cross au casting. C’est de faibles audiences, mais une grande communauté de fans très investie. Donc à l’annonce de la sortie d’une quatrième saison après 7 ans d’absence, c’est la folie. Le retour de la sitcom tant aimée, attendue comme le messie. Sauf que voilà, la recette est différente cette fois-ci.

 

Des conditions de tournage difficiles

Avant tout chose, il faut savoir que depuis les débuts d’Arrested Development, la carrière des acteurs principaux a sacrément décollé. On ne présente plus Jason Bateman (Juno, Comment tuer son boss ?, Ozark…), et Michael Cera (Juno, Supergrave, Scott Pilgrim…), qui apparaissent dans de nombreuses superproductions américaines. Will Arnett se fait une petite notoriété avec des rôles dans Flaked, La Grande Aventure Lego ou BoJack Horseman. Et enfin, on a régulièrement l’occasion de voir Portia de Rossi (Scandal, Ally McBeal, Santa Clarita Diet...), David Cross (Pitch Perfect 2, Unbreakable Kimmy Schmidt…) et Jeffrey Tambor (Transaprent, Very Bad Trip 3…) à l’écran.

Entre tous ces nouveaux projets, promos, interviews… réunir le casting entier relève carrément du miracle. L’équipe a dû laborieusement jongler entre les différents emplois du temps des acteurs, ce qui a eu pour effet de retarder la réalisation de la série. Au final, la saison 4 a mis plus d’un an et demi à être tournée. Et pour palier au problème des indisponibilités de chacun, le producteur Mitchell Hurwitz a pris la décision de réserver chaque épisode à un personnage en particulier. Une bonne idée d’un point de vue organisationnel mais une solution un peu pauvre une fois retransmise à l’écran.

Parce que c’était ça la force d’Arrested Development. Les interactions entre tous ces protagonistes plus tarés les uns que les autres, créant ainsi d’impossibles quiproquos, marque de fabrique de la série. La sitcom perd donc ce qui faisait sa richesse. On a beau être fan, ça se ressent à travers les épisodes. Et c’est lourd.

 

Une première version… éphémère

Arrested Development renaît de ses cendres grâce à l’intervention de Netflix qui rachète les droits de la série en 2011. La saison 4 est donc sortie en 2013, soit 7 ans après l’arrêt de la sitcom. 15 épisodes un peu plats où on se demande où est passée la magie de la série. L’effet nostalgique ne suffit pas et les fans et la critique ne cachent pas leur mécontentement. L’histoire aurait pu s’arrêter là.

Mais quelques années plus tard, la plateforme de streaming prend une décision singulière : organiser un remix de cette fameuse saison 4 afin de reconquérir les fans déçus. C’est alors qu’une deuxième version est mise en ligne début mai 2018, juste à temps pour Cinco de Cuatro (événement récurrent dans la série). Rebaptisée Arrested development: Fateful Consequencies, la saison est entièrement remontée, agrémentée de nouveaux commentaires de Ron Howard, la voix off de la série.

Aujourd’hui, c’est cette version rééditée qui est présentée comme la suite officielle sur Netflix. Pourtant, la première version est toujours disponible sur la plateforme. Encore faut-il avoir l’idée de fouiller un peu dans l’onglet teaser et bandes annonces. Quoiqu’il en soit, le message est clair : oubliez la première version, c’est la deuxième qu’il faut regarder !

 

Une première dans l’histoire de l’audiovisuel

Que l’on adhère ou pas à cette nouvelle stratégie, il faut saluer la prise de risque. C’est une première mondiale dans l’histoire de l’audiovisuel ! Remodeler toute une saison rien qu’en effectuant un nouveau montage, c’est du jamais vu.

Bien sûr, ce n’est pas sans rappeler les modifications de George Lucas sur Star Wars. Et puis Netflix n’en est pas à son premier coup en matière d’innovation. On se souvient notamment de son entrée au festival de Cannes l’année dernière avec Okja, remettant ainsi en cause la définition même de cinéma. Mais cette nouvelle initiative pourrait bien être la première pierre d’une révolution dans l’industrie culturelle. Si cela devient une habitude, on est en droit de se poser la question : les prochaines productions cinématographiques auront-elles une durée de vie limitée à l’avenir ?

Si cette totale liberté éditoriale devient une nouvelle tendance, le monde des séries et plus largement du cinéma va s’en retrouver profondément bouleversé. Plus qu’un simple procédé, ce phénomène marque l’entrée dans une nouvelle ère de la production de contenus. D’autant plus que cela risque de se démocratiser avec un mastodonte comme Netflix qui possède non seulement les droits mais aussi l’exclusivité de la diffusion de la série.

 

Vulture s’interroge par exemple sur les potentiels dérives d’une telle technique. Jusqu’où ira-t-on dans le futur ? Les scènes choquantes de 13 Reasons Why, qui ont fait polémique car directement adressées à un public adolescent sensible à ce genre d’images, auraient-elles disparu sous la pression de parents inquiets ? Cela pourrait-il se transformer à l’avenir en une certaine forme de censure moderne ? Ou au contraire, cela représente-t-il d’infinies possibilités de création, un peu à la manière du sample ou du remix en musique ? La question reste ouverte.

 

Au final, Arrested Development S4, qu’est-ce que ça donne ?

En définitive, on pourrait voir cette dernière version de la manière suivante : Arrested Development s’est offert un lifting. Un lifting, ça donne un petit coup de jeune, ça efface les marques disgracieuses, ça harmonise. Mais un lifting, ça ne fait pas tout, ça reste de l’apparence pure et simple.

Si on note de nettes améliorations, la V2 ne résout pas tous les problèmes de la V1. Les scènes n’ont pas été filmées une seconde fois, ce qui fait que les personnages ne se rencontrent pas plus qu’avant. Or, les puchlines de Tobaias, d’habitude exceptionnelles, tombent à plat lorsqu’il se retrouve éloigné du reste de la famille Bluth. Le personnage de Michael, d’ordinaire indispensable, se retrouve d’un seul coup inutile voire gênant.  

Bref, Arrested Development perd son identité. D’un véritable OVNI fournissant un tourbillon de blagues à la secondes, on passe à un alien difficilement compréhensible. Si la série retombe sur ses pattes grâce à ce redécoupage, le rythme effréné qui faisait le charme de la série n’est pas au rendez-vous. Pour que le tout reste compréhensible, le narrateur fait sans cesse des retours sur ce qu’il s’est passé auparavant. Tellement, qu’on en perd le fil. La cadence est trop dure à suivre et le résultat est un immense fouillis. En conséquence, les blagues ont moins d’effet, même les running gags qui rappellent les trois premières saisons…

On retrouve cependant certains de nos guests préférés comme Bob Lablaw ou Tony Wonder (Ben Stiller) et d’autres font leur entrée dans la série (Terry Crews). Malheureusement, cela ne suffit pas pour nous transporter…

 

Au final, c’est non sans déception qu’on s’attaque à cette nouvelle saison qui ne remplit pas les critères d’exigence des fans. Malgré tout, les puristes seront tout de même heureux de retrouver leur famille Bluth chérie, sans parler des running gags qui font tout le succès de la série. Alors que la saison 5 vient à peine de sortir sur Netflix, on se demande si elle aussi subira le même sort dans la cas où les adeptes serait une nouvelle fois déçus…