Avec une nouvelle adaptation satirique, Armando Iannucci signe son troisième long métrage. Cette fois-ci il évoque avec beaucoup d’humour la sombre période politique qui a suivie la mort de Staline : la passation de pouvoir. Un film qui ne plaît pas à tout le monde puisque le gouvernement russe l’a simplement interdit de projection sur son sol.
Du papier à la pellicule
La Mort de Staline est une bande dessinée-française en deux volumes ! Une histoire satirique écrite par Fabien Nury et dessinée par Thierry Robin, sortie en 2010 et qui a vite atterri sur le bureau d’Armando Iannucci. Le réalisateur britannique est un habitué de la satire. Pas étonnant qu’il ait été conquis par le travail du duo français. Le projet a mis des années à mûrir, faute d’emploi du temps.
Le travail d’adaptation est réussi, les deux tomes elliptiques sont condensés dans un film sans lenteur. La tension croissante, qui amène lentement vers l’enterrement qui fait office de climax, nous tient en haleine. Les dessins de Thierry Robin étaient assez sombres, Iannucci en a fait des personnages hauts en couleur, alternant avec brio entre humour noir et sentiment d’insécurité. Car bien qu’ils soient dans le cercle fermé du dictateur défunt, tous ces prétendants ne sont pas à l’abri d’un coup fourré de l’un d’entre eux. C’est l’arroseur arrosé tout le film et ce malaise sert idéalement l’humour du film. On en vient même à rire des exactions sommaires. Rire coupable, mais quand on voit l’absurdité du régime (et qu’on n’a pas vécu les événements) on ne peut qu’en rire.
Les plans sont majestueux, avec des intérieurs richement décorés et des costumes soignés. Le ping-pong entre les querelles politiques et les impacts sur la population civile unit le tout de manière cohérente. Comme dans la BD, l’idée du film et de mettre en parallèle les deux côtés de la barrière. Le prologue et la séquence du concert met les pieds dans le plat efficacement. Et encore une fois, cet épisode s’est réellement déroulé.
Pour terminer sur la mise en scène, on peut souligner la beauté de la bande son. Des mélodies en plein dans le mille : Choeurs de l’Armée Rouge et reprises d’oeuvres russes. Une mise en situation très crédible et qui se marie à merveille avec le ton du film. Grandiloquence musicale et esthétique.
Des anglo-saxons convaincants en Russes
Voir des Américains rejouer l’Histoire de l’U.R.S.S. ne fait pas rire le Kremlin. Evan Goldberg et Seth Rogen avaient réussi leur pari en s’attaquant à Kim Jong-un dans The Interview (2014). Une satire qui n’avait pas plus à l’intéressé. Joseph Vissarionovich Stalin et ses fidèles sont ici campés à nouveau par des « capitalistes occidentaux ».
Qu’on soit partisan d’un camp ou de l’autre, il était clair que l’initiative d’Armando Iannucci allait faire polémique. Toutefois on ne peut s’empêcher de rire en voyant les situations loufoques (qui sont exclusivement tirées de faits réels). Un trente-sixième degré est obligatoire pour chaque spectateur s’il veut apprécier cette farce. Il faut croire que tout le monde ne sait pas aller au-delà du premier… Nous nous sommes laissés porter et le plaisir a été immense. Voilà un film drôle, qui se moque sans méchanceté d’une époque bien lointaine. Certains l’accuseront d’être un film de propagande américaine, sauf que toute cette lutte de pouvoir et le régime autoritaire ont réellement existé. Bien que le film dresse un portrait décalé de la réalité, il faut reconnaître que le projet existe et apporte donc une visibilité mondiale. Et pour couronner le tout, le public d’origine russe qui a visionné le film ne s’est pas du tout senti offensé.
Le film est porté par un casting parfait ! Le quatuor (Khrouchtchev, Beria, Malenkov, Molotov) est irrésistible. On a adoré l’interprétation de Steve Buscemi en Khrouchtchev cynique et drôle. Une belle découverte avec Simon Russell Beale, plutôt habitué des planches, en Lavrenti Béria calculateur et froid. Jeffrey Tambor incarne un successeur maladroit et touchant qu’était Gueorgui Malenkov. Michael Palin vient compléter la brochette avec un rôle plus fataliste et fervent fidèle des idéaux du parti. On termine par un énorme coup de coeur pour Jason Isaacs qui fait une entrée sensationnelle et durable dans cette lutte de pouvoir.
Armando Iannucci signe une satire à tomber par terre, portée par un casting homogène et transcendé par ses personnages. Maintenant on attend avec impatience que des réalisateurs russes se moquent de la bureaucratie américaine. Et il y aurait beaucoup d’histoires à développer sous un ton humoristique sans trop déformer la réalité. Parce qu’on peut rire de tout, mais malheureusement pas avec n’importe qui !