Critique « Dunkerque » de Christopher Nolan : Voyage au bout de l’enfer

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Figure démiurgique qui peut se révéler aussi fascinante qu’irritante, Christopher Nolan n’a eu de cesse de cultiver l’excitation d’un public curieux de découvrir le nouveau monde imaginaire qui avait émergé du labyrinthe de ses pensées. Avec Dunkerque, le réalisateur reconstruit pour la première fois une réalité historique, celle de l’opération « Dynamo », un sauvetage désespéré des troupes britanniques, et par extension, du Royaume-Uni qui se sauvait d’une invasion certaine.

Lorgnant du côté des plus grands (Kubrick, Malick, Cimino ou bien Spielberg) comme pour se conférer une légitimité supplémentaire, Nolan propose avec ce film de guerre une expérience âpre aussi immersive que subjective qui force le spectateur à faire corps avec ces soldats plongés au cœur de l’enfer. Reste que si le processus d’immersion se révèle amplement réussi, la maladresse et la naïveté avec laquelle l’Histoire est maniée provoque inéluctablement un sentiment de gêne et de frustration.

Guerre des sens

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Ne se plaçant guère dans une perspective de réinvention du genre, c’est toutefois avec virtuosité que Nolan propose avec Dunkerque une expérience de survie qui fait appel aux sens. La séquence inaugurale se révèle ainsi programmatique. Par le biais d’une mise en scène immersive qui ne soumet aucun élément d’ancrage, le film plonge le spectateur au cœur d’une action mortifère dans laquelle chacun essaye de sauver sa peau. Tout comme les personnages, il est matraqué par un environnement sonore impitoyable. Point de répit donc durant ces 1h47 de film où les bruits des bombes, des moteurs et des coups de feu se côtoient et harcèlent le tympan d’un spectateur oppressé. Dans une position de modestie bienvenue, la musique d’Hans Zimmer réussit brillamment à donner le tempo à ce chaos sonore. Par ailleurs, l’appel des sens implique aussi logiquement un appel de la vue qui a toujours été au cœur du cinéma nolanien qui demeure fasciné par les images. Le chaos se retrouve donc aussi dans le visuel de séquences apocalyptiques mémorables dans lesquelles les cadavres flottent et reviennent sur le rivage comme pour rappeler le bourbier incommensurable que représente cette plage. Côtoyant parfois le mystique, le film atteint parfois le subliminal dans cette course, presque littérale, contre la mort où un compte à rebours latent et incessant rappelle cette urgence dans laquelle les personnages se trouvent plongés malgré eux. Film peu bavard, le silence y apparaît ainsi comme le truchement d’un quotidien traumatique dans lequel personne ne sortira indemne. 

Continuité, ipséité 

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A contrario de ce que le sujet augurait, Dunkerque répond bel et bien aux canons des films nolaniens. Le réalisateur découpe et manie la chronologie avec la même agilité que pour ses précédents films en mettant le temps au service d’une narration tournée vers l’émotion du spectateur. Le cahier des charges s’avère accompli puisque le sentiment d’empathie pour cette galerie de personnages cosmopolites et paranoïaques ne quitte jamais le spectateur. Plus encore, Nolan réussit à insuffler suspens et tension à chaque séquence de cette guerre élémentaire où l’on suit à la fois soldats, pilotes et marins. Pétris d’ambiguïté, ces personnages constituent ainsi le point nodal de ce récit dans lequel Nolan joue l’équilibriste entre réalité et fiction à la recherche d’une vérité extatique qu’il n’arrive, hélas, pas à véritablement atteindre. En effet, le caractère archétypale des protagonistes (bien trop nombreux pour éviter la simple esquisse) et la maladresse avec laquelle est traité le sujet de fond, ne permettent pas de tirer vers un approfondissement pourtant nécessaire.

Subjective subjectivité

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Car en maniant l’Histoire, le réalisateur semble être passé à côte d’elle et de sa complexité. Difficile, en effet, de ne pas être embarrassé par le patriotisme dégoulinant qui en résulte. En évacuant complètement le camp français et allemand dans cette bataille, Nolan donne l’impression de ne pas avoir seulement manié le temps mais d’avoir aussi manipulé aveuglément une réalité historique qui en sort quelque peu dénaturée. Certes, le retour inquiet des soldats en terre natale amorce une réflexion intéressante sur la culpabilité liée à l’échec et au sentiment de survie inhérent à l’homme mais elle n’est que trop grossièrement esquissée pour constituer une véritable balance de nuances face à ce bloc d’enthousiasme légèrement grossier qui surgit lors du dernier tiers du film.

Malgré une appropriation naïve d’un événement historique qui aurait mérité d’être traité avec plus de justesse et de finesse, Dunkerque constitue une plongée incroyable, asphyxiante, dans cet enfer militaire qui aboutira à un sauvetage des plus miraculeux. Porté par un casting entièrement dévoué à la cause d’un réalisateur toujours soucieux de d’associer recherche formelle et divertissement, le film parvient à susciter les émotions d’un spectateur secoué par la mise en scène de cette survie collective. 

Dunkerque : Bande-Annonce