C’était fin 2015, les inséparables Rolling Stones tentent de trouver de l’inspiration pour de nouvelles compos, sans succès. Ils ont eu la meilleure idée qu’un groupe de rock de plus de cinquante ans de carrière pouvait avoir : reprendre sans détour des standards de blues inconnus. Et on aime.
My generation
Tout a été écrit, montré, exposé et édité en matière de Rolling Stones. Le groupe que ton papa te propose sobrement d’aller voir en concert et dont, le moment venu, les yeux s’écarquillent de bonheur lorsqu’il voit Keith Richards prendre sa dégaine inimitable sur l’un de ses riffs, et quand il te voit être également assez jouasse (sincèrement ou pour faire plaisir). Il faut certainement avoir vécu dans ces années 60 et les tumultes de libertés et de transgression des frontières pour comprendre la chair de poule que les fans d’alors ont lorsqu’ils les écoutent aujourd’hui. Lors de la British Invasion de 1962-63, les Rolling Stones avaient du mojo, de la hargne et de la puissance, quand d’autres (les Beatles…) n’avaient que faire de leur masculinité balbutiante. C’est que Mick Jagger sera un peu le diable qui s’oppose aux anges, leur rock’n roll sauvage, gras et survolté en tant que subversion et interdit versus les chansons twists et proprettes. Si la plupart des baby-boomers vivront leur révolution sexuelle de manière tout à fait entière, ça sera un peu grâce aux titres comme « Jumping Jack Flash », « Honky Tonk Woman » et « Brown Sugar » qui serait la bande son idéale d’un épicurisme 60’s total.
D’années en années, les 6, puis 5 (l’un des fondateurs Brian Jones succombera en 1969 à ses égarements psychédéliques), puis 4 (le bassiste Bill Wyman quittera le navire en 1993) Rolling Stones (Jagger, Richards, Watts, Wood) font des albums, suivent les décennies, avec des sorties majeures (« Exile on Main St. » en 1972), puis opportunistes (sans bouder du tout leur vague disco ni l’essai reggae de Mick Jagger), puis fatigués (les tubes poussifs des 90s).
Rejouer la base
Voila, les dés seraient jetés, car depuis belle lurette, on vient à leur concert par nostalgie, par principe même, rarement par intérêt des nouvelles compos. C’est sûr qu’on ne va pas leur en vouloir de ne rien avoir sorti d’aussi magistral que « Let It Bleed« . Néanmoins, les mauvaises langues diront que les Rolling Stones ne produisent maintenant que des flops. Quand les bonnes langues diront qu’ils ne les ont pas écoutés et que rien que pour avoir écrit « Gimme Shelter » (ou « Sympathy for the Devil » les soirs d’orgie), on leur pardonne tout. Alors qu’en est il de ce « Blue and Lonesome »? Déjà, le communiqué de presse nous apprend qu’il s’agit de reprises de vieux morceaux de blues. BB King, Buddy Guy, Screaming Jay Hawkins? Que nenni, nos 4 compères ont (aussi) été bercés par ces musiciens de passages qui, faute d’être arrivés à temps, de bon ingénieur du son ou de bon detox, ne sont pas parvenus à une gloire qui aurait été amplement méritée. Ainsi, les talents injustement cachés de Little Walter, Howlin’ Wolf, Willie Dixon, Magic Sam, Jimmy Reed, Lightnin’ Slim sont dans la tracklist du nouveau Rolling Stones. Ces bluesmen noirs de l’ombre des années 50 / 60 instaurent alors les bases du rock blanc, lequel va tout copier et émerger quelques mois plus tard (Suivez mon regard vers Elvis). Mick Jagger et ses compères leur la rendent bien et interprètent ce qui a construit leur son blues. Cela donne 12 titres, sans fioritures, suintant l’harmonica (joué par Mick), pris sur le vif, où les 4 membres sont déchaînés de leur blocage créatif. Sans forcer, on retrouve l’âme des Stones, lequel, et on se rend compte à nouveau avec cet opus, participe complètement de l’âme du rock’n roll. « Hate to see you go » est révélé comme un classique absolu, alors que le titre éponyme et fulgurant « Blue and Lonesome » nous éclaire à quel point cette influence est encore présente aujourd’hui (Jack White ne dira pas le contraire).