Critique « La Mécanique de l’ombre » de Thomas Kruithof avec François Cluzet

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Cette semaine, La Mécanique de l’Ombre, premier long métrage de Thomas Kruithof, est sorti en salle. Ce thriller d’espionnage met en scène François Cluzet qui interprète le rôle de Duval, un ancien comptable rongé par le chômage et la solitude qui va être pris au piège d’un complot politique en acceptant un travail de scripte. 

Pas de mécanique sans la mise en scène de Kruithof mais pas d’ombre sans la carrure de Cluzet

Duval, le personnage de François Cluzet, est un homme qui, dès les premières minutes du film, incarne l’inhibition la plus totale, en acceptant le surplus de travail que lui donne son supérieur et en s’y immergeant jusqu’à perdre la raison. Le réalisateur n’a eu besoin que des 5 premières minutes de son film pour nous illustrer à la fois son personnage principal et le fardeau qu’il porte en utilisant un personnage fragile pour nous montrer en quelques instants comment la société peut briser un homme en lui en demandant plus qu’il ne peut en accomplir. Un fait particulièrement applicable au monde du travail, plaçant ainsi le problème dans un contexte actuel, où chômage et politique se côtoient sur fond de campagne électorale : difficile d’être plus proche de l’actualité, surtout en France.

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Le personnage solitaire comble ses problèmes professionnels par l’alcool, depuis quelques années maintenant. Duval endosse les erreurs d’une société qui le broie avant de le recracher dans un quotidien insignifiant et triste. Ce sera cette lutte pour retrouver une fierté sociale perdue qui entraînera malencontreusement le personnage dans ses pires retranchements. 
Face à des actes de plus en plus horribles, le personnage va devoir faire ses propres choix, ne plus suivre les règles sociales qui l’ont mené là où il se trouve, ne plus faire confiance à qui que ce soit, et surtout pas à son gouvernement.

« Les yeux sont les fenêtres de l’âme. »

Les images représentent un immense travail, les acteurs transcendent les émotions, vivent leurs personnages plus qu’ils ne les incarnent. François Cluzet nous parle à travers son regard plus qu’à travers ses mots. « Les yeux sont les fenêtres de l’âme » comme disait le poète Georges Rodenbach, qui définit à merveille les jeux d’acteurs de ce film où l’expression prend tout son sens, et les attitudes retenues des personnages forcent les acteurs à avoir un jeu plus minimaliste, plus détaillé, moins visible, mais aussi plus précis où les émotions s’emparent du corps au lieu d’en sortir frénétiquement

Le réalisateur, grand amateur de films d’espionnage, a mis toute sa passion dans cette œuvre qui enchaîne les codes du genre pendant plus d’une heure et demi, du plus évident (le rendez-vous en manteau long dans un stade ou derrière un monument) au plus discret (les duels silencieux qui, à force de répétitions, sont de plus en plus forts et de moins en moins silencieux). On y retrouve également plusieurs allusions aux grands scandales qui ont marqué l’histoire de l’espionnage et de la politique française. Le réalisateur insiste également sur la paranoïa qui s’empare peu à peu des protagonistes et l’inclut à la mise en scène afin de faire évoluer ces personnages sous tension dans une atmosphère froide et angoissante porté par l’ambiance électrique qui règne dans les plans.
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Sara, le personnage féminin lié à Duval et interprété par Alba Rohrwacher, est le seul à ne pas être physiquement ou hiérarchiquement supérieur à Cluzet. C’est le seul être plus fragile que lui, il a été brisé au début du film, est devenu alcoolique et a appris de son expérience, expérience dont il lui fait bénéficier pour la protéger d’une société qui ne l’a pas encore totalement détruite mais essaie à son tour.
Le réalisateur choisit de ne pas créer de liaison amoureuse entre les personnages, malgré un attachement entre les deux mis parfaitement en avant. Un amour trop expressif aurait brisé l’atmosphère froide et oppressante du film et aurait différé de la manière dont les personnages expriment leurs sentiments tout au long du film. Une ambiance parfaitement homogène avec les personnages et leurs actes froids et calculés auxquels doit faire face le scripte. Un choix très respectable et judicieux, dont l’inverse est trop souvent vu comme une évidence. 

La machine à écrire et le magnétophone utilisés par le personnage principal construisent un habillage sonore qui fait monter la pression et insistent magnifiquement sur la mécanicité des gestes. Lors des moments de stress de Duval, ces bruits métalliques jouent avec les nerfs du personnage et du spectateur.
Ces outils, utilisés par le premier rôle, résonnent dans sa tête et dans les scènes récurrentes de l’appartement. Des bruits qui se mêlent à la musique pour former un rythme sonore aussi important que les dialogues.
Mais seul le rythme sonore d’un film ne peut supplanter le rythme de ce dernier et c’est malheureusement ce qui manque dans cette œuvre. 

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Une minutie qui manque de rythme

Ce manque de rythme est souligné dans la première partie qui laisse le personnage se faire bousculer de toute part sans changer ses habitudes. Après chaque révélation, chaque nouvel élément perturbateur, le personnage principal revient à ses retranscriptions comme si de rien n’était. Ce cycle fait constamment retomber la pression mise en place par certaines scènes (notamment les duels) et empêche le film de progressivement construire une dynamique. Cette dernière serait plus immersive et s’accorderait mieux avec la croissante restructuration personnelle du héros. Un bouleversement spirituel sur lequel le réalisateur s’attarde trop, repoussant le moment tant attendu où le personnage prend son destin en main et se fait entendre. L’évolution du personnage est minutieusement amenée par le réalisateur mais les conséquences de cette évolution, notamment le fait de se dresser contre ces bourreaux se fait attendre trop longtemps.

L’escalade de la violence et de la peur ne se fait pas physiquement, elle se fait plus subtilement. Elle joue sur la psychologie du personnage qui va petit à petit se détacher de sa manière de penser, de se laisser faire. Tout aura plus d’impacts pour lui, les bruits mécaniques de la machine à écrire seront plus forts et ce qu’il entend à travers les enregistrements aura de plus en plus de sens. Cluzet intériorisera tous ces chamboulements jusqu’à ce qu’ils surgissent à l’extérieur et que ces violentes pensées deviennent des actes violents. L’ébullition de l’esprit devient rébellion du corps et remaniement du caractère.

Le premier film de Thomas Kurithof nous offre un bel hommage au cinéma d’espionnage par les codes qu’il utilise et l’atmosphère très oppressante qu’il construit autour du personnage. Sa réalisation se synthétise très bien avec le jeu viscéral de François Cluzet qui déteint sur les autres interprétations. Le seul inconvénient sera le rythme du film, élément qui vient à manquer une fois le cadre de l’histoire mis en place et le héros présenté. La mécanique de l’ombre reste un film d’espionnage de qualité porté par des acteurs engagés et un scénario réfléchi.